En épigraphe trône cette interrogation de
Virgile : « Quoi faire pour le bonheur des champs ».
Jaume Saïs et
Serge Bonnery se sont associés pour nous restituer des bribes de champs immortalisés tantôt par la parole poétique, tantôt par des photos non moins poétiques. Et
Didier Manyach de nous rappeler en conclusion de sa préface que : « Le monde n'est pas en endroit. le monde est une succession des lieux qui mènent à l'entrée du Monde ».
Si les textes de
Serge Bonnery sont teintés d'accents bibliques, c'est aussi parce que ces jardins renvoient constamment au Jardin. L'unique et célèbre de l'Éden ou peut-être celui de Gethsémani. Comment ne pas voir dans la photo de la page 54 l'ombre du Jésus crucifié ? Comment ne pas sentir, page 20 cette « danse du vent » ?
Superbe traduction en parole, avec un subtil renvoi aux photos des pages 6-7 par
Didier Manyach : « Car au fond de ce Jardin, métaphorique, dissimulé par de mauvaises et pourtant nécessaires herbes, pourrait se refermer le piège d'une seule goutte d'eau : une cellule affolée, s'infiltrant, par une loi naturelle, déréglée, dans la trame, comme l'araignée qui chute de sa toile… ».
Et lorsqu'une tête de poupon au bout d'un pieu surgit dans un coin de jardin, cela fait naturellement penser à l'enfance que
Serge Bonnery invoque pages 41-42 :
« “L'enfance est mystère, et doublement lorsque l'univers auquel on s'éveille est celui agraire, fermé, millénaire qui a subsisté l'écart du mouvement, de l'échange, de la modernité jusqu'au milieu de ce siècle et quelque peu au-delà, parfois, par endroits”, écrit
Pierre Bergounioux dans un livre où il évoque les paysages qui l'ont vu grandir, du côté des Millevaches avec pour horizon les courbes du Quercy.
Le pays noir où je suis né fait à jamais mystère de son ombre. J'ai souvenir de ses odeurs de figues écrasées, de raisins que l'on presse, de litières sauvages dans les hautes herbes, d'écorces écorchées par les doigts crochus de la foudre ».
Mots et images « tisse [ent] leur langue » selon les voeux des auteurs.
Comment ne pas mémoriser au final cette phrase de
Didier Manyach qui résume à elle seule la célébration du beau et du fragile qu'est ce livre : « Dans un monde sans offrandes, où les horizons sont perdus, offrir au vivant son reflet c'est regarder le temps qui chute dans sa roche de glace ».