Le serment des barbares

Il y a un moment qu'un auteur ne m'avait pas mis pareille triple baffe.
Normalement, ma bibliothèque est rangée par pays d'origine des auteurs. Mais il y a l'étagère spéciale, celle des indispensables, les livres qu'il faudra impérativement sauver en cas d'incendie ou de fin du monde. Boualem Sansal a sa place sur cette étagère, quelque part entre Umberto Eco, John K. Toole, Hugo et Dostoïevski.
Comment est-il humainement possible d'avoir un style aussi élaboré pour un premier roman ? Comment les auteurs français d'autofictions à la grammaire minimaliste et au vocabulaire indigent peuvent-ils ne pas rougir de honte face à pareille oeuvre ?
Alors oui, c'est un peu difficile à lire si on est habitué à ces auteurs indigents. Et pas seulement à cause de la construction de la langue : l'histoire algérienne des années 50 à la fin des années 90 n'est pas du tout une histoire amusante. On y a beaucoup torturé et égorgé, y compris des enfants. En outre, Boualem Sansal est révulsé par la condition des femmes qu'il décrit avec une plume trempée dans le vitriol. Mais il n'y a pas que ça : les caciques du FLN, les pieds-noirs, les réseaux mafieux et islamistes, les liens entre tous ces gens, l'éducation scolaire exsangue, la misère : vraiment tout y passe.
On en sort avec une énorme colère mais surtout une bien meilleure compréhension de la situation en Algérie - où il est évidemment censuré.
C'est construit comme un polar : il fallait bien un prétexte. C'est en réalité une charge multiple.
Ce n'est que le deuxième roman de Sansal que je lis - 2084 est aussi bon dans un tout autre genre - mais je sais déjà que je lirai tous les autres.
Si vous aimez ces livres dont on sort grandi, arrêtez tout et lisez celui-là.