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Citations sur Pardonnez nos offenses (25)

Chuquet voyait le cercueil de Haquin se couvrir peu à peu de terre noire mêlée de neige. Au-dessus de la fosse, les hommes avaient planté la pierre tumulaire requise par le défunt : sans nom, sans date, juste ce vers :

PARDONNEZ NOS OFFENSES

L'évêque de Draguan disparaissait enfin... emportant avec lui ses secrets.
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Gui était prévenu, il lui faudrait au moins quatre ou cinq jours de traversée avant d'atteindre le village. Premierfait affirmait connaitre parfaitement le trajet, trois vals et quatre forets de taille. Il les avait plusieurs fois parcourus mentalement pendant les longues nuits d'insomnie qui suivirent son retour de Heurteloup.
assis sur une des banquettes du chariot, Henno Gui se replongea dans ses prières, sans daigner jamais se retourner vers Draguan.
«Et dixit dominus michi quod volebat quod ego essem novellus pazzus in mundo...» pensa-til. («Et le Seigneur me dit que je suis un nouveau fou dans le monde...»)
Il savait qu'il laissait derrière lui des rumeurs contrastées, peut-être même des amorces de contes de campagnes : un prêtre venu de nulle part, un demi-follieux acceptant d'aller chez les maudits, violent, dangereux, un peu médecin, un peu sorcier, un peu magicien, un peu... fictif.

Quoi qu'ils en racontent, tous les Draguinois étaient persuadés qu'à moins d'un miracle, ils ne reverraient jamais ce curé vivant...
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Si j’ai cru devoir dissimuler la présence de mon ami aux gens de Draguan, c’était par précaution. Depuis notre départ de Paris, plus nous piquons vers le Midi, plus Mardi-Gras est mal accueilli aux portes des hameaux et des auberges. On nous lance des mauvais regards, quand ce n’est pas des insultes ou de la menue rocaille. À croire que le soleil du Sud rend ses habitants plus superstitieux ou plus ignorants que leurs frères du Nord.
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On affirme souvent que l'homme peut soigner l'homme tant qu'il s'agit de viscères ou de squelette, mais dès que l'on touche à son âme, c'est trop peu d'une vie pour atteindre ce but...
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L’effet fut immédiat. La population entière se convertit aux préceptes de la Vierge. Cela fut d’une rapidité prodigieuse. Les âmes les plus endurcies, les antipapistes les plus convaincus se mirent tous à demander pardon dans leur petite église et à tourner leurs prières vers Rome. La réussite du simulacre était incontestable.
- Maintenant, nous quittons Gennanno ? demanda Gilbert à Drago de Czanad.
— Bientôt. Il nous faut d’abord effacer les traces de notre opération. Ensuite, des hommes du Latran viendront nous remplacer et occuper la place.
Gilbert était fasciné. Il venait d’assister à la versatilité sans limites de ses semblables. Un peu de fumée et beaucoup d’or, et c’en était fait de tout ce que ces hommes avaient pensé ou cru pendant toute une vie, tout ce pour quoi ils étaient encore prêts à mourir le matin même. Le garçon repensa à Rome, à ces maîtres-cardinaux qui gravissaient les marches de l’escalier du Latran, qui connaissaient si bien l’âme de leurs fidèles et qui, par là, savaient si bien les mystifier… Combien de fois dans l’histoire de l’Église s’étaient-ils autorisés à jouer ainsi de la crédulité des hommes ?
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L'affaire était sans précédent. Le prêtre de campagne mis au fait par cette fillette sut se montrer habile et prudent. Ce scandale entachait en même temps le pape, la couronne française et les grands seigneurs qui avaient contribué à l'ordre du fils d'Enguerran du Grand-Cellier. Il fallait être discret. Le secret ne devait pas quitter le cercle royal et le haut clergé. Il serait tenu sous le boisseau jusqu'au verdict final du pape. C'était une de ces vérités embarrassantes qui unissaient toujours, sans querelle, les intérêts du politique et du religieux.
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Haquin résuma sommairement l’histoire des Pères de l’Eglise qui charpentèrent la pensée chrétienne. Ils étaient tous de formation hellénique. Après leur conversion à Jésus, ils s’appliquèrent à « reformuler » les grands systèmes philosophiques grecs selon une terminologie de chrétiens, éclairés par leur foi nouvelle et enrichis de l’expérience du Christ. Ce labeur, qui nécessita des générations d’études, fut une épreuve intellectuelle sans égal. Les assimilations, souvent improbables, ne manquèrent pas de révéler des « erreurs » chez les philosophes antiques comme des « lacunes graves » dans le dogme chrétien en plein essor. L’œuvre de Saint-Augustin, par exemple, se constitua sur la christianisation de la pensée de Platon. Entre les lignes, entre les Idées, au détour d’un doute de Socrate, le grand évêque d’Hippone retrouvait les valeurs, les choix et les messages édictés farouchement par l’Eglise. De la même façon, beaucoup d’auteurs antiques se retrouvèrent chrétiens sans avoir jamais connu le Fils. Ceux qui résistaient à tout rapprochement étaient simplement mis à l’index, considérés comme inexacts ou hérétiques.
- C’est du reste une époque très intéressante que nous vivons en ce moment, ajouta Haquin. L’Eglise s’est longtemps contentée de sa victoire exceptionnelle sur le platonisme, sans se soucier du premier de ses adversaires : l’école d’Aristote, le disciple même de Platon.
[…]
Depuis lors, continua Haquin, nous essayons de faire avec Aristote ce qu’Augustin et les Pères ont fait avec Platon. Malheureusement, la pensée d’Aristote est autrement plus complexe et plus éloignée de nous que celle de son aîné. Elle est presque en tous points opposée aux fondamentaux de notre foi.
— Alors pourquoi s’en soucier ? demanda Chuquet. Faisons comme avec les autres penseurs antiques non retenus par nos Pères ignorons-là. Nous pouvons déclarer qu’Aristote est un hérétique, et vivre sans lui comme nous l’avons déjà fait. N’a-t-on pas écarté des textes de l’évangéliste Jean ?

En effet, en effet… dit Haquin. Mais l’œuvre d’Aristote a cet avantage sur saint Jean qu’elle fascine plus les savants que les théologiens. Platon considérait qu’il était impossible aux hommes de connaître la « Vérité » ; pour lui, elle appartient à une autre réalité dont nous ne pouvons rien concevoir pendant cette vie terrestre, si ce n’est les apparences. Aristote, lui, se disait libre de pouvoir tout étudier et tout comprendre. Si la Vérité se cachait derrière les choses et les vivants, il était convaincu que l’homme avait en lui les atouts et les droits pour pénétrer ces mystères. Aussi, lorsque tu glisses un tel discours dans l’oreille d’un savant, comme on le fait aujourd’hui, il n’est plus pensable de vouloir l’en déloger.
— Et vous êtes opposé à Aristote ?
— Je ne suis pas contre le fait d’étudier quelques maladies ou des propriétés végétales pour aider à la médecine, mais que dire de ceux qui, partant de là, s’autorisent toutes les expériences ? La Vie est une création du Seigneur, une émanation de Sa volonté. Chercher à en pénétrer les mystères, c’est entrer dans les secrets de Dieu et par là l’offenser. Par exemple, que dire de ceux qui travaillent aujourd’hui à fragmenter le prisme de la lumière pour en connaître les propriétés ? La lumière ! A-t-on oublié que c’était le troisième acte de la création de Dieu ? Le premier d’entre tous dont il est dit de sa voix « Cela est bien » ? Comment croire, comme certains le disent, que la lumière ne serait là que pour nous éclairer quand nous marchons, alors qu’elle est un geste essentiellement voulu par Dieu ? Que dire de ceux qui étudient les mécanismes de la procréation ? Brûle-t-on les alchimistes et les sorciers pour mieux nous laisser entraîner à leurs mêmes tentations ?
C’était la seule fois que Haquin et Chuquet parlèrent du salut en général et d’Aristote en particulier.
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Le curé avala une grande lampée de lait.
- Vous n’en démordrez pas ?
- Jamais ! Cette affaire ne peut nous apporter que des ennuis. Croyez-moi sur parole, je sais toujours ce qui est bon et ce qui ne l’est pas. C’est dans ma nature.
- Tiens, tiens, dit Henno Gui avec un œil soudain pétillant. Vous détenez là un don bien rare ; les philosophes s’évertuent depuis toujours à acquérir pareille sagesse. Aujourd’hui encore, la distinction du Bien et du Mal occupe beaucoup d’esprits. Si vous maniez si bien ce talent, me laisserez-vous profiter de vos lumières ?
Là-dessus, disputeur rompu à la maïeutique, le curé se joua en quelques questions socratiques de l’esprit de la pauvre paysanne. A son insu, chacune des réponses de la femme la conduisait un peu plus au point de vue d’Henno Gui. Il fit si bien qu’ils tombèrent tous deux d’accord sur la nécessité absolue de le conduire au village sans que la sacristine n’ait à renier ses premières convictions. Cette controverse était un jeu d’enfant.
- C’est donc convenu, dit le curé.
- Oui, mais tout cela, c’était pour parler, dit-elle subitement. Pas à faire.
- Il y a une différence ?
- Et comment ! Ce serait trop facile. Vous me parlez du Bien et du Mal, je veux bien, mais moi je vous parle du Bon et du Mauvais. Ce n’est pas la même chose.
Ensuite, avec un bon sens désarmant, la Draguinoise pourtant inculte abattit magistralement la logique de Platon aussi bien que le fit son disciple Aristote.
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La disposition du village était chaotique. Une étrange sauvagerie suintait de chaque hutte, de chaque pierre, de chaque indice trahissant la vie de ces hommes. On ne savait si les villageois d'ici s'étaient conformés à cette atmosphère macabre ou si c'étaient les murs eux-mêmes qui reflétaient leurs âmes noires et sauvages.
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"Pour la majeure partie de l'Occident, le terrible hiver de 1284 fut un désastre. Pour les habitants de Draguan, ce n'était qu'une malédiction de plus."
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