16 juin 1979 (p.94)
Chaque espèce, dans l'évolution, a pu jaillir d'une impossibilité qui menaçait d'engloutir la vieille espèce. Quand tout devient impossible, c'est qu'un autre Possible s'apprête à surgir. Tant que l'on croit qu'on peut, qu'on sait, il n'y a rien à faire : on tourne en rond dans les possibilités de la vieille espèce. L'Espèce nouvelle, c'est l'impossibilité de la vieille espèce. Nous en sommes là. Et il y a un clef, il y a un Pouvoir, il y a un espoir. Le néant obscur que nous vivons n'est pas désespérant il est, au contraire, plein d'un espoir vrai qu'enfin nous allons sortir de nos vieux remèdes qui sont seulement l'envers de notre Maladie. Nous sommes au bout de tout : comme le têtard, un jour, est au bout de son bocal – et il ne sait pas qu'il deviendra grenouille, il ne sait même pas ce qu'est une grenouille. Notre bocal terrestre craque. Notre Occident merveilleux et honnête a su seulement inventer des monstres qui ne peuvent vivre qu'en devenant plus monstrueux. Nous sommes à la fin d'un cycle évolutif, et la Force est avec ceux qui saisiront le secret du Passage à l'autre espèce, l'espèce vraiment humaine, car nous ne sommes encore que des gnomes intelligents et malfaisants. Nous ne sommes pas HOMMES encore. La prochaine espèce n'est pas une supériorité des vieux gnomes, elle ne viendra pas d'une super-qualité des vieilles qualités de gnomes – c'est Autre Chose. Le Pouvoir et l'Espour sont avec ceux qui découvriront quelle est la qualité de la prochaine espèce, quelle est la chose, dans la vieille espèce, qui contient le germe et le levier de la prochaine espèce. Il y a un levier, il y a une semence de Pouvoir – chaque espèce contient l'annonce et la possibilité de la prochaine espèce-, il faut trouver cette Semence, ce Levier, ce Pouvoir enfin. Telle est la seule entreprise «raisonnable » dans cette ère de décomposition générale. Tel est le but de l'Agenda. Tel est le pouvoir qu'il contient. La clef est là.
Non, ce n'est pas une affaire généticiens et de biologistes qui connaissent seulement la science de la vieille espèce et le mécanisme de la vieille espèce – que peuvent-ils connaître d'autre, sinon les lois de leur bocal de têtard ? Il y a une autre loi, une merveille à l'air libre, en dehors de ce bocal, et toutes nos lois physiques s'évanouiront comme s'évanouissent les lois du poisson pour le mammifère qui respire à l'air libre. Il y a un autre air pour les Hommes. Il faut trouver la nouvelle loi – sinon c'est sans espoir, sinon c'est le triomphe de la nature obscure du têtard-harijan ou du têtard-savant, les deux pôles d'une même asphyxie.
Ce que je dis là n'est pas une affaire de « foi », c'est l'affaire la plus raisonnable qui soit. Il n'y a rien de plus raisonnable que l'Évolution – et rien de plus inévitable.
(...) le travail est en train de se faire en dépit de tous les obstacles et de toutes les apparences obscures.
(sans date 1980. p.165)
Un chant au loin, derrière
les plaines de l'Inde.
Un enfant là. Je suis
cet enfant. Je suis ce
vieillard. Je suis né de
toujours, était-ce hier,
à cette minute ? Je suis
si vieux, si vieux que ces
plaines résonnent en moi
comme le premier ressac
d'une mer ancienne sur
un continent oublié.
Je me souviens. Je me
souviens, c'était très loin
comme ce chant, c'était
tout près, maintenant.
C'était toujours. Suis-je
ce vieillard ? Suis-je
cet enfant ? - je suis
ce qui écoute, écoute. Je suis
ce qui regarde, regarde,
à me faire éclater l'âme -
dans un sourire, dans une
peine ancienne, dans la
vieille peine du monde, son
éternel sourire. Vais-je
mourir ? Vais-je regarder
encore, écouter encore ?
Un chant s'éteint là-bas avec
le soleil sur la plaine. Demain,
demain c'est tout pareil -
Je suis là dans ce qui
ne bouge plus. C'était hier,
c'était demain. J'écoute
un inconnu jamais saisi
et qui me fait être encore et encore
Je suis un enfant qui sourit,
un vieillard qui sourit.
Je suis, je suis. Et cette
seconde qui passe reste à
trembler dans mon coeur
comme le cri d'une
mouette jamais saisie – je passe
je passe, je reste, je suis
toujours, avec le soleil
qui meurt, ce chant
qui meurt et ce sourire
tendre qui reste, sur les
joues de cet enfant, sur les
lèvres de ce vieillard, je
ne sais.
6 juin 1979 (p.95)
(...) le travail est en train de se faire en dépit de tous les obstacles et de toutes les apparences obscures. Ce n'est pas une affaire de millions d'années que nous n'avons plus les moyens d'attendre. Ce n'est pas une affaire de « mystique » qui s'est cassé la figure avec autant de fracas que notre « science » est en train de se casser la figure. Ce n'est pas une affaire « orientale » ni occidentale - c'est une affaire totale, de la Terre. Et il faut que quelques uns, sur cette Terre, comprennent et aspirent. Cette aspiration est le Passage même, c'est le Pouvoir même de l'autre espèce – en vérité, c'est l'autre espèce même qui aspire dans la vieille. Sans ce besoin de sortir du Bocal, il n'y a pas de grenouille. Il faut que quelques-uns incarnent ce besoin de sortir de notre bocal humain mental. Les moyens de l'avenir n'existent pas – c'est notre besoin de l'avenir qui fait jaillir l'Avenir. Et si quelques-uns, sur cette terre, comprennent et sentent dans leur coeur la formidable Aventure que nous sommes, ceux-là ouvriront la porte pour les autres. Il suffit de quelques uns. Il faut que nous soyons quelques uns à comprendre et aspirer.
16 juillet 1980
(Lettre à Sir C.P.N Singh, où il est question d'Indira Gandhi)
Il y a deux façons d'agir. L'une est la façon politique, celle que nous avons adoptée depuis assez longtemps et qui ne nous a
menés nulle part – et qui ne nous mènera jamais nulle part. C'est la façon du calcul intelligent : si je fais ceci, j'obtiendrai cela ; si je déplace cet individu, je pourrai déplacer cet autre et ainsi de suite ; et si j'accepte la lourde et pénible tâche de gouverneur de l'Uttar Pradesh, je pourrai obtenir ceci et cela.
C'est une illusion. Nous serons toujours arrêtés dans notre action pour une excellente raison ou une autre. Quelque chose surgira toujours pour démolir notre calcul – et en attendant des mois ou des années sont perdus, ce qui est exactement la stratégie de l'Ennemi : gagner du temps.
L'autre façon est la façon divine : pas de calcul, on démarre quelque chose, n'importe quoi, un premier petit pas quelconque, et on a confiance que le Divin s'emparera de notre petite action et la changera en une tempête et une victoire. C'est exactement ce que nous n'avons pas fait.
(...) Nous n'avons pas le courage de nous emparer du Divin et d'avoir confiance en Lui et en Elle ; nous croyons que nos petits calculs sont plus malins qu'Eux. Nous ne sommes pas des guerriers, nous nous conduisons comme des comptables. Mère a suffisamment répété que le temps de la Politique est passé, fini – nous ne La croyons pas. Nous n'avons pas la foi.
19 avril 1980 (À une Aurovilienne, p.129)
Ce qui est important c'est d'être là.
Ce n'est pas la question d'éliminer la corruption de l'Inde ni d'être à cinq ou cinq cents à construire le Matrimandir, ni d'arriver à tel ou tel résultat – la question est d'être là. Pas à Rome ou à Berlin ou à Paris, mais là. Le fait d'être cette petite flamme persistante, obstinée, au milieu de l'obscurité générale, cela suffit. Être là et brûler là. Et le fait de la présence de cette flamme suffit à élaborer automatiquement ce qui doit être élaboré. Il ne faut pas regarder les résultats : la flamme produira tous les résultats que nous ne pouvons pas comprendre.
Il faut durer et endurer et brûler et brûler.
Un jour l'aurore viendra.
Satprem - Restera seulement ce qui est vraie 3-3