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Mère tome 1 sur 1
EAN : 9782221001738
Robert Laffont (12/09/1999)
4.71/5   7 notes
Résumé :
Relate le cheminement de Mère depuis son enfance jusqu’à sa rencontre avec Sri Aurobindo, puis son travail avec lui jusqu’en 1950.
Que lire après Mère, tome 1 : Le Matérialisme divinVoir plus
Citations et extraits (7) Voir plus Ajouter une citation
Quel étrange Feu brûlait en Lui ? Il {Sri Aurobindo} signait alors {1910} toutes ses lettres du nom de Kali, la Guerrière des mondes, la puissante Mère qui tisonne le monde et les cœurs parce qu’elle aime les hommes non dans leurs petites vertus et leurs blancheurs immaculées, mais dans la Vérité droite de leur cœur et dans une grandeur plus grande que tous nos humanismes. Car, la Mère, en vérité, Celle qu’on appelle la Mère en Inde, la Shakti, Celle que Sri Aurobindo servait et vénérait dans ses actes comme dans ses œuvres comme dans son silence, est la Force même, le Feu puissant qui meut les mondes vers leur accomplissement évolutif suprême. Sans elle, nous pouvons méditer pendant des millénaires et inventer des paradis démocratiques et électroniques et tourner en rond jusqu’à plus soif... jusqu’à ce qu’elle brise nos paradis et nos vertus et nos petitesses pour nous contraindre à faire la Vie divine sur la terre et l’Homme divin dans un corps. En elle, est l’intensité irrésistible, la formidable passion de la force qui réalise, la divine violence qui se précipite pour renverser toutes les limites, tous les obstacles. Sa divinité bondit entière dans une tempête d’action splendide ;elle est pour la célérité, le moyen efficace,immédiat,le coup direct et rapide, l’assaut de front qui balaye tout devant lui... Car elle est la Guerrière des Mondes et ne recule jamais devant la bataille... Indomptable est son esprit, haut et loin comme le vol de l’aigle vont sa vision et sa volonté, ses pas sont rapides sur la voie ascendante et ses mains sont tendues pour frapper comme pour secourir. Car elle est la Mère, aussi, et son amour est aussi intense que son courroux... Si sa colère est redoutable pour l’hostile, si la véhémence de sa pression est pénible pour le faible et le craintif, elle est aimée et adorée par le grand, le fort, le noble, car ils sentent que ses coups martèlent la résistance de leur matière et la transforment en énergie et en vérité parfaite... Sans elle,ce qui s’accomplit en un jour prendrait des siècles ; sans elle, la Béatitude pourrait être vaste et grave, ou douce et tendre et belle, mais elle perdrait la flamme d’allégresse de ses intensités les plus absolues... Ainsi, avec elle, est la force victorieuse du Di- vin, et par la grâce de son feu, par sa passion, sa rapidité, le grand accomplissement peut avoir lieu maintenant et non après la tombe.
Elle est la Force qui fait toujours sortir le plus grand bien possible d’un mal apparent, disait-il dans l’un des premiers numéros de l’Arya, alors même que cette meurtrière « guerre des tranchées » se poursuivait en Europe. Cette petite phrase, si simple, contient tout un monde – tout le monde, peut-être.
Chacun peut la mettre à l’épreuve dans sa propre conscience. Aveuglés par les apparences, la lutte, la nécessité de choisir et de faire, et plus souvent de mal choisir et de mal faire, et encore plus souvent d’errer et de nous tromper, quelquefois même de faire souffrir et de détruire, nous ne voyons pas comme à chaque instant et dans le moindre détail, chacune de nos erreurs était la porte secrète d’un bien inattendu, chaque faux pas faisait un pas vers le progrès nécessaire, chaque douleur, chaque obscurité préparait une lumière plus vaste, un champ plus clair, et comme tout, dans une immense conjuration, terrible mais féconde, complotait imperturbablement, minutieusement notre propre élargissement et l’élargissement du monde. Alors, quelquefois, une seconde, on s’arrête et le miroir se renverse et on voit tout l’autre côté – la moitié obscure de la Vérité, disait Sri Aurobindo : « Il est devenu la connaissance et l’ignorance, il est devenu la vérité et le mensonge », dit l’Oupanishad – et que tout est une seule Vérité en mouvement dans le plus microscopique détail, un seul Bien qui s’accomplit, une seule Force merveilleuse qui transmue à chaque instant, délivre à chaque instant, change chaque goutte de poison en son nectar... si l’on sait regarder du bon côté. Sri Aurobindo, c’est vraiment Celui qui vient nous montrer à regarder du bon côté. C’est la Lumière dans l’obscurité, c’est l’Espoir partout, le Positif dans tout, le Sens de tout. Et tout est contenu : pas un atome obscur n’échappe à ce Sens total, pas une ombre de douleur ne reste sans sa lumière profonde, pas un égarement n’a son infaillible direction. C’est l’inlassable transmutation. C’est la Vérité qui prend tout dans ses bras, parce que tout est elle en marche vers elle-même : le Mensonge est une invention de nos yeux, le Mal est une invention de nos yeux ; la douleur, la seule douleur, en vérité, est de ne pas voir du bon côté, car, si, une seule seconde, nous pouvions voir ce qu’est le monde vraiment sans tous nos faux regards de bien, de mal, de oui, de non, nous serions guéris à jamais, et le monde, sans changer une seconde de ce qu’il est en cette minute cruelle et obscure, serait complètement autre. C’est un voile de Men- songe sur une Réalité inimaginablement belle. Peut-être le voile du Mental. Sri Aurobindo, c’est Celui qui dévoile. Sri Aurobindo, c’est le changement de regard du monde. Sri Aurobindo, c’est la vision totale, l’embrassement de tout. Et Celle qu’il sert, c’est la grande Transmutatrice qui prend nos inlassables sottises pour les changer inlassablement en leur contenu de lumière, nos inlas- sables faux pas en leur imperturbable direction, nos inlassables misères en la seule Force qui nous donnera un jour le courage de briser le miroir et d’oser la joie du monde parce que nous aurons vu ce qui est réellement. Sri Aurobindo est venu donner, non pas un espoir, mais une certitude de la splendeur vers laquelle le monde va. Le monde n’est pas un accident malheureux, c’est une merveille qui va vers son expression.
Non, Sri Aurobindo, ce n’est pas un « enseignement » – pas d’enseignement ! s’écriait Mère, elle qui craignait tant que l’on ne fasse une nouvelle religion des paroles de Sri Aurobindo et des siennes : Les hommes sont si fous qu’ils peuvent changer n’importe quoi en une religion... Je ne veux pas de religions, finies les religions ! – c’est une autre façon de voir. La grande Transition à l’autre espèce commence dans un regard. Passer d’une espèce à une autre ne consiste pas à changer de structure mais à changer de conscience : la chenille et le papillon regardent un seul et même monde. Et quand quelques-uns auront commencé à voir de l’autre façon, ce sera la grande contagion de la vision supramentale ; nous sortirons du cauchemar mental, nous sentirons autrement, nous respirerons autrement et nous bâtirons notre monde autrement parce que nous le verrons autrement. Et finalement la Conscience même prendra ce corps pour le refaire selon sa vision de beauté im-mortelle.
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LA RÉSISTANCE
(…) Le laboratoire, il ne supportait pas si bien la manipulation ou plutôt la « pression ». Au début, ce sont les plus gros poissons qui se montrent, ils sont aisés à voir et même leurs longues dents sont peu redoutables : on sait que ce sont des dents. Après, viennent éclater à la surface, ou se démener à demi asphyxié, tout un fretin gluant et plat des profondeurs. Il en monte, il en monte… Et il arrive ce phénomène bizarre, quand on est à ce niveau-là au lieu d’être au-dessus à regarder le monde du haut de son trapèze cosmique, c’est que l’asphyxie du fretin semble être notre propre asphyxie, on est ça, on se démène avec ça, comme si le mal ne pouvait se guérir vraiment qu’en l’avalant pleinement. C’est pénible. C’est malodorant, on est subitement rempli d’odeurs très déplaisantes et ramené à une stature naine qui vous fait dire : quoi, c’est ça le yoga ; quoi, c’est ça moi, c’est ça…? C’est très pénible. « Mais moi, j’étais parti pour la conscience cosmique, pas pour ces billevesées malodorantes ! » Eh oui, mais c’est un million de billevesées qui font la douleur, la grande douleur du monde – les requins sont charmants, la mort n’est pas avec eux, elle est avec des « rien » innombrables qui peuplent la vie de tous les jours, invisibles, sous nos belles phrases et nos idéaux joufflus. Et la voix lassante des Asouras védiques (titans et démons) est là qui vous serine à longueur de temps : tu ne réussiras pas, c’est une entreprise vaine, c’est voué à l’échec, tu perds ton temps… Va donc voir là-haut la conscience cosmique. Et ça recommence jour après jour, sans vacances, et nuit après nuit, sans trêve, c’est là tout le temps : c’est toi ou c’est moi, qui gagnera ? Quelquefois, on se sent comme la chèvre de Monsieur Seguin qui va se faire manger à l’aube, et c’est encore la horde des malins qui vous sussure : tu vas te faire manger, tu vas… C’est un combat hideux, gluant, il faut bien le dire. On comprend les sages et les saints qui ont tous filé au paradis de la conscience, comme des lapins. C’est le Subconscient : ce que Sri Aurobindo appelle le « sub-conscient » (pas ce qu’entendent nos psychologies des surfaces), c’est-à-dire tout le passé évolutif, sub-humain, toutes les couches non seulement humaines mais animales et végétales qui se sont déposées jusqu’au fond des cellules. « C’est un labeur herculéen, note Sri Aurobindo. Quand on entre là, c’est une sorte de continent inexploré. Les autres yogis étaient descendus jusqu’au vital. Si l’on m’avait fait voir cela avant, probablement aurais-je été moins enthousiaste. »

Les disciples ne l’étaient guère ; après la première vague d’enthousiasme, on se fixe à de microscopiques mécontentements qui frottent et frottent – tout est microscopique. Pourtant, le travail était fait pour eux, c’est-à-dire qu’ils n’avaient pas besoin de se battre vraiment (c’est Sri Aurobindo qui faisait la bataille) mais de suivre, d’adhérer, de s’ouvrir. S’ouvrir, cela veut dire subir la manipulation, laisser faire la bataille. Tous les progrès que Sri Aurobindo faisait, je les faisais, automatiquement, remarquait Mère. C’est la loi automatique du Supramental, mais pour qu’elle joue, il faut, dans une certaine mesure, permettre au progrès d’entrer – prendre le parti du Rayon, pas celui du grouillement. Il semble qu’ils aient passé leur temps à mettre des murs – oh ! pas là-haut : là-haut, c’était la jolie conscience poétisante et spiritualisante et discourante et pleine de vénération pour le Maître. Mais en bas, c’est une autre affaire. Une affaire très courante, on passe dessus, on ne veut pas voir ça, on est « au-dessus » de tout ça – et encore, pas toujours. Alors on demande à avoir « des expériences »; on est venu au yoga pour avoir « des illuminations », avoir de la poésie au bout de la plume, des articles pour son journal, de l’inspiration pour son livre, des étendues de lumière… pour dormir. Des milliers et des milliers de lettres de réclamations au Maître. Et il répondait patiemment, imperturbablement à chacune, il essayait de leur faire comprendre : La pression, l’appel est pour changer cette partie de la nature qui dépend directement de l’Inconscient [quand le yoga était déjà descendu d’un degré plus bas, du Subconscient à l’Inconscient], c’est-à-dire les habitudes fixes, les mouvements automatiques, les répétitions mécaniques de la nature, les réactions involontaires devant la vie, tout ce qui semble relever du caractère établi d’un homme… Et les expériences, c’est très bien, mais l’ennui c’est qu’elles ne semblent pas changer la nature. Elles enrichissent seulement la conscience. 25 Ce n’était pas facile à admettre, même quand on avait compris dans les parties supérieures de la conscience. Dessous, ça grondait, ça se froissait, s’agrippait à un millier de détails très quotidiens : personne ne voulait lâcher son petit fretin, au besoin on affirmait ouvertement ses droits à l’obscurité et à la souffrance. Si l’on regarde d’un peu près cette fabuleuse correspondance de Sri Aurobindo avec ses disciples, on se sent le cœur serré, on voit tout ce qu’il a dû subir, avaler, jour après jour, de questions oiseuses, coupages de cheveux en quatre, de petitesses, de querelles, menaces de suicide, grèves de la faim, maladies de résistance – tout résistait. Et si par hasard quelqu’un mourait, ils s’étonnaient que ce Supramental trompeur ne les ait pas immunisés contre la mort. Si je veux diviniser la conscience humaine, écrivait Sri Aurobindo à l’un des disciples, faire descendre le Supramental, la Conscience-de-Vérité, la Lumière, la Force dans le physique pour le transformer…, la réponse est la répulsion, ou la peur, ou la mauvaise volonté – ou le doute que ce soit possible. D’un côté on réclame que les maladies et le reste devraient être impossibles, et de l’autre on rejette violemment la seule condition à laquelle ces choses peuvent devenir impossibles. 26 Jusqu’au bout, ce sera la contradiction de la « seule condition ». La « loi automatique » jouait à l’envers : toutes les obscurités des disciples, Sri Aurobindo les avait, automatiquement. Et Mère remarquait avec une nuance de tristesse, peut-être, bien que la tristesse ait toujours été étrangère à sa nature : Ici, même parmi les meilleurs, parmi ceux qui feraient sans hésiter bon marché de leur vie dans une grande occasion, il n’y en a pour ainsi dire aucun qui soit prêt à abandonner ses petites habitudes, ses petites préférences, ses petites commodités pour que la victoire finale soit remportée plus rapidement. C’est un bilan. Les petites occasions, c’est très difficile. Et on se tromperait beaucoup si l’on croyait que les disciples étaient spécialement « mauvais » – il faut même dire que c’étaient des anges à côté de ceux qui suivront quand Mère prendra le fardeau à son tour –, ils étaient parfaitement bons et parfaitement mauvais comme tout le monde : ils étaient tout le monde. Ce n’étaient pas des « disciples » qui étaient là, c’était la terre. C’était la résistance de la terre, la mauvaise volonté de la terre, la difficulté de la terre. Le groupe parfaitement « représentatif ». Pas une des nobles lumières que l’on peut rencontrer ailleurs n’aurait subi l’épreuve sans tomber dans la même sottise. C’est la sottise de la terre. C’est la misère de la terre.

C’est « Le labeur d’un dieu » :

J’ai creusé longtemps et profond
Dans une horreur de fange et de boue
Un sillon pour la chanson de la rivière d’or
Une demeure pour le feu qui ne meurt pas.

J’ai labouré et souffert dans la nuit de la Matière
Pour apporter le feu à l’homme
Mais la haine des enfers et la méchanceté humaine
Sont ma part depuis que le monde a commencé (…)

Mes plaies béantes sont mille et une
Et les rois titaniques assaillent (…)

Une voix a crié : « Va où nul n’est allé!
Creuse plus profond et encore plus profond encore
Jusqu’à ce que tu arrives à l’inexorable pierre de fond
Et frappe à la porte sans clef. »

 (J’ai) plongé à travers les allées aveugles du corps
Jusqu’aux régions infernales des mystères d’en bas.
J’ai creusé à travers le terrible cœur muet de la terre
Et entendu le bourdon de sa messe noire

J’ai vu la source d’où partent ses agonies
Et la raison intérieure de l’enfer.
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Un jour viendra peut-être où elle devra rester sans aide
Sur une crête dangereuse du destin du monde et du sien
Portant l’avenir de la terre sur sa poitrine toute seule
Portant l’espoir de l’homme dans un cœur déserté
Pour conquérir ou échouer sur une dernière frontière désespérée Seule avec la mort et proche du bord de la disparition
Laissée à son unique grandeur en cette dernière terrible scène Elle devra traverser seule un périlleux pont du temps
Et toucher un paroxysme du sort du monde Où tout est gagné pour l’homme, ou perdu

C’étaient les dernières lignes qu’il ait dictées. Vingt-trois ans plus tard nous avons regardé cet autre cercueil qu’on emmenait sous le flamboyant jaune, à côté du sien, tandis que le cœur des disciples se lamentait, qui l’avaient traitée si féro- cement jusqu’au bout. Et nous regardons tout cela avec une lourde question, comme la question même du monde. Qu’est-ce qui a été fait cette fois-ci ?... Les disciples sont seulement des représentants de la terre, et ils savaient bien, Mère, Sri Aurobindo, que c’étaient les conditions à affronter, pleinement, totalement, honnêtement. Est-ce perdu, est-ce gagné ?... Nous avons plus de six mille pages qu’elle a laissées secrètes, son « Agenda » : quinze ans d’un terrible yoga du corps qu’elle nous racontait pas à pas de cette petite voix d’enfant, claire, toujours pleine de rires devant la douleur, de plus en plus lointaine et essoufflée comme si elle devait traverser des étendues de temps pour nous rejoindre, de plus en plus lente et haletante comme à travers des couches de mort – tous les secrets sont là. Sommes-nous capables de ce Secret ? Saurons-nous même le lire correctement ? Saurons-nous toucher le levier... Simplement comprendre la « chose », ce serait presque la faire – ou la faire apparaître. « D’autres obscurités menacent de couvrir d’ombre ou même d’engouffrer l’humanité », disait-il. Il voyait. Elle voyait – al- lons-nous voir ? Allons-nous saisir le vrai levier, le levier magique 32 disait-il. Oui, quelque chose qui renverse tout quand tout semble désespéré et perdu. Il y a un levier. Il y a un secret. Il y a un pouvoir. Mais nous ne saurons pas jusqu’au bout. Il y a tout de même un choix à faire pour que la terre passe du bon côté. Chacun a un choix à faire, il faudrait tellement comprendre ! Comprendre, c’est presque une question de vie ou de mort. Nous ne savons pas à quel point – à quel point de mi- racle nous sommes. Ou alors ?...

Un jour de 1962, douze ans plus tard, tout d’un coup, Mère s’est arrêtée, elle a regardé – regardé toute cette terre devant elle – et c’était comme un cri qui jaillissait de son cœur, presque une douleur : Tout d’un coup je me suis dit : comment ? pendant le temps qu’il était ici, pendant ce temps que nous étions ensemble, la vie – la vie ter- restre – a vécu une possibilité divine si merveilleuse, si... n’est-ce pas, unique, qu’elle n’avait jamais vécue à ce point-là et de cette manière-là, pendant trente ans, et elle ne s’en est pas aperçue ?...Je me suis dit :comment est-ce possible que des gens aient vécu ici, si près, et que,sur la terre, des êtres humains qui ont une aspiration et qui ont la conscience tournée vers ces choses ont vécu cette possibilité, qu’ils ont eu cette possibilité à leur disposition, et qu’ils n’ont pas su en profiter!...Qu’ici il y avait cette chose si merveilleusement unique, et que les gens en aient eu une petite image enfantine, extérieure !... Et alors, vraiment, j’ai pensé : est-ce que vraiment le temps est venu ? Est-ce possible ?Ou est-ce que ce sera encore pour plus tard ?

On l’a descendue, elle aussi, dans son cercueil, et nous sommes devant la même question, encore plus lourde. Tous les petits bonshommes d’aujourd’hui, ils peuvent passer, et ils passeront avec leur lot de sottises et de méfaits – mais la grande Sottise, elle est là dans les millions d’hommes, pareille, c’est tout d’une pièce. Est-ce que nous allons saisir ce levier, est-ce que quelques-uns compren- dront, cette fois ? Ou quoi ?... C’est presque comme si c’était elle qui posait la question, de l’autre côté de la tombe – comme s’il y avait encore une chance.

Il y a des moments où les choses convergent. Et alors c’est rare d’avoir un moment dans cette Histoire : cela s’étend sur de longues, longues périodes, sur un temps presque indéfini. Mais obtenir un moment qui devienne quelque chose d’actuel dans la vie terrestre [et ici Mère plantait son poing dans la Terre], c’est très difficile. Et si ce moment-là est passé, raté... Mais je me demande toujours – parce que Sri Aurobindo est parti sans révéler son secret. Il m’a dit qu’il partait exprès (cela, il me l’a dit), il m’a dit ce qu’il était nécessaire que je sache ; mais il n’a jamais dit si le moment n’était pas venu... Il n’a jamais dit s’il avait vu que rien n’était suffisamment prêt.Il m’a dit : le monde n’est pas prêt (cela,il me l’a dit).Il m’a dit qu’il s’en allait volontairement parce que c’était « nécessaire ». Et il m’a dit qu’il fallait que je reste et que je continue, et que c’était moi qui continuerai. Ces trois points-là, il les a dits. Mais il ne m’a ja- mais dit si je réussirai ou pas. Il n’a jamais dit si je pouvais ramener le moment ou pas.

Et dans cette minute, nous avons l’impression que le Moment existe. Qu’il est là, que nous y sommes en plein. Et que ça dépend... de quoi ? Peut-être de notre compréhension. Quelque chose qui s’ouvre dans la conscience terrestre, un tout petit cri d’appel, et que le Courant puisse passer. Ce n’est peut-être pas « grand- chose » à faire. Quelquefois, on dirait que le destin du monde tient à très peu de chose. Une petite goutte pure dans un million de gestes quotidiens qui vont seulement à la tombe.

Est-ce qu’il y aura une goutte pure quelque part ?
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Une seule Matière qui bouge. Et peut-être avait-elle commencé de bouger quand Mirra à Paris et Sri Aurobindo à Calcutta commençaient à entrer dans leur propre Matière pour nettoyer les couches du vieux monde évolutif et dégager la nouvelle « source ». Un seul grand Corps en transformation.
Lentement, une écluse s’ouvrait.
Or, en 1906, à Tlemcen, il s’était produit un incident bizarre. Au cours de ses explorations dans les plans de conscience qui enveloppent la Terre (ce qu’on appelle son « avenir » et qui n’est à venir que par les épaisseurs à traverser), Mirra avait vu quelque chose, ou plutôt il lui avait été dit quelque chose, qu’elle avait noté soigneusement avec la date (et Dieu sait qu’elle était à mille lieues de se préoccuper de la Chine quand elle ne savait même pas très bien ce qu’était l’Inde) : Exactement dans cinq ans, la révolution se produira (en Chine). Ce sera le premier mouvement terrestre annonçant la transformation. Et en 1911 exactement, octobre, le Kuo-min-tang provoquait les troubles que nous savons et la dynastie mandchoue s’écroulait peu après. Mais ces événements, qui maintenant nous apparaissent dans leur ampleur véritable, n’étaient alors que de vagues rumeurs qui devaient traverser des mers et des mois pour se faire connaître moins bien que le dernier discours de l’illustre député républicain du Lot-et-Garonne (Monsieur Fallières, pour ne pas le nommer). Et Mirra ne savait rien de tout cela, lorsque, par quelque « hasard » aussi mystérieux que tout le reste, elle a rencontré à Paris (comment, nous ne le savons pas, ni quand exactement) certain affilié d’une société secrète chinoise (comme dans les romans) qui l’a mise au courant des événements de Wuhan en des circonstances encore plus étranges que tout le reste : devant cet homme, sans savoir pourquoi, Mirra s’est mise à faire certain geste (un poing sur l’autre) qui était le signe de ralliement de ladite société (décidément nous sommes en plein roman, mais la vie de Mère est le plus étonnant roman qui soit) et se croyant parmi d’autres affiliés, l’homme avait donné tous les détails de ce qui était en train de se produire en Chine. Du coup, Mirra s’est souvenue de sa note cinq ans plus tôt.

Et elle est restée songeuse.

On aurait dit que les circonstances voulaient qu’elle soit au courant. Qu’elle ait fait ce « geste » sans le savoir n’a rien pour nous étonner : Mirra avait depuis longtemps la capacité toute naturelle d’entrer dans tout le monde comme chez soi, sans même le vouloir, et de faire les choses sans même savoir pourquoi, parce que le geste s’imposait ; ce n’était plus le mécanisme mental qui la faisait bouger. Mais ce qui nous laisse songeur, nous, c’est : pourquoi la Chine ? L’Histoire à venir, très prochaine sans doute, nous dira pourquoi c’est dans ce pays que devait se situer « le premier mouvement terrestre annonçant la transformation ». Nous n’en savons rien. Nous pouvons seulement noter le fait. Est-ce là qu’est le nœud ? Mais le fait est qu’au tournant de ce siècle, trois révolutions étaient en cours qui allaient changer la face du monde. Quelque chose avait commencé dont tout le reste, aujourd’hui, est seulement la conséquence et le développement.

Et qu’est-ce qui avait commencé ?

Nous pouvons nous laisser tromper par les apparences. Nous voyons du communisme là et du socialisme ici et du capitalisme encore ailleurs – cent cinquante pays qui se déchirent et lancent chacun son cri de guerre, luttent contre la pauvreté, luttent contre l’injustice d’une couleur ou d’une autre, pour le droit, la liberté, le pétrole et les engrais chimiques, pour tout ce qu’on veut, contre tout ce qu’on veut : c’est le règne du pour et du contre, de la vérité contre le mensonge, du bien contre le mal, et chacun a la vérité, chacun brandit son slogan, condamne la vérité de l’autre qui condamne la vérité de l’autre – la « vérité » partout comme un énorme cadavre pestilent que chacun étale, proclame, radiodiffuse et imprime en six cent cinquante langues infaillibles et chacune suprêmement véridique. Et tout est vrai, et tout est faux. C’est la vérité du mensonge ou le mensonge de la vérité. C’est le règne du oui-non, bien-mal, pour-contre, la grande Babel mentale en trois milliards huit cent cinquante millions d’hommes. C’est le temps des innombrables panacées : contre le cancer, contre la récession, la pauvreté, pour la pluie, le beau temps, on invente tout, désinvente tout la minute d’après et tout recommence dans le grand chaudron. C’est toujours nouveau, c’est toujours pareil. C’est malade ici aujourd’hui, malade là demain, et c’est tout le monde malade. C’est la grande maladie mentale qui touche à sa fin. C’est la grande dévaluation mentale – celle dont personne ne parle – mais qui hurle partout en un millier de « cultures » dont les mots ne veulent plus rien dire, les idées ne veulent plus rien dire, les vérités, les mensonges ne veulent plus rien dire, et tout est comme une énorme imposture parée d’un million de vérités qui se répercutent à bout de haut-parleur jusque dans les plus petits villages de l’Himalaya, hypnotisés, assourdis, drogués de mots et abrutis d’idées. C’est la fin du Mental. La pensée s’annule elle-même. C’est le commencement d’autre chose. Nous sommes au temps du grand « changement de gouvernement » disait-elle : c’est le remplacement du gouvernement mental de l’intelligence par le gouvernement spirituel de la conscience.

C’est le temps du Supramental.
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Et c’est ainsi que, plus tard, elle donnera un nom à des centaines de fleurs, simplement par la qualité de la vibration qu’elles éveillaient en elle-même: Oh! dévotion, s’écriera-t-elle un jour sur la terre de l’Inde en tenant une petite branche de basilic… Ça vibre, ça signifie – tout signifie. La «tendresse» est là et l’«aspiration», la «création nouvelle», l’«appel de la joie», «soleil supramental», « flamme», «lumière dans les cellules», «transformation», «conscience divine dans la matière», «Grâce», «transparence», et des centaines d’autres. Et cette petite fleur jaune comme une pâquerette, elle l’appelait «simplicité».
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