Le Fils Prodigue

Combien je m'en voulais de n'avoir pas su taire mes succès passés ! Lorsque je chantais mes propres louanges, rien de bon n'en sortait jamais. Cela me valait à chaque fois une terrible humiliation, qui me faisait regretterde n'avoir pas tenu ma langue.

Comme tous les enfants confrontés au chagrin d’un adulte, je m’étais mis à pleurer moi aussi. Elle m’avait pris dans ses bras et m’avait bercé afin de m’apaiser. Plus tard, pelotonné sur ma paillasse dans un coin de notre pièce, j’avais entendu mes parents se disputer avec violence au-dehors, mais j’étais trop petit pour établir un lien entre les deux incidents. Je devais avoir environ trois ans, peut-être quatre déjà ; c’était donc peu avant la mort de mon père. Son adultère avec la mère de ce jeune homme devait être la cause de la querelle.

Voyez-vous, ma mère se tourmente. Colin est son petit dernier. Il n’a que vingt ans. Dès le début, elle ne voulait pas qu’il embarque sur ce navire. Elle a tenté par tous les moyens de l’en dissuader. Mais il avait déjà le goût de l’aventure alors qu’il n’était pas plus haut que trois pommes. J’ai beau être l’aîné, c’est toujours lui qui me mettait dans le guêpier, et non l’inverse, comme on pourrait s’y attendre.

— Vous pensez que la justice n’est que pour les riches ?
— Les gens qui possèdent l’argent et l’influence ont de meilleures chances de l’obtenir. Oui, bien sûr, je le crois.

Les errements du cœur humain sont difficiles à sonder, maître Chapman. Il m’a fait l’effet d’un garçon méchant et irascible, ne s’intéressant guère qu’à lui-même. Toutefois, se hâta d’ajouter l’échevin, je suis peut-être injuste. Il n’est pas resté plus d’une heure. Comment juger, en si peu de temps ?