Des maladresses, beaucoup, dans ce premier roman, une couverture peu attractive et en même temps, des perles dans cette vase noire pour qui cherche
Le sujet est intense: celui de la violence faite aux femmes, et plus précisément de la violence conjugale. Celle des années 40 - au Maroc et celle qui existe encore en 2020 au Maroc et ailleurs.
J'écarterai le Maroc pour revenir sur les fondamentaux qui font de ce livre maladroit un roman attachant et surprenant par moments.
Il aborde plusieurs voies, plusieurs voix, beaucoup de questions, certaines resteront sans réponse. Il prône la liberté --- ?! je m'interroge encore...
$*$ Maya 1924 - 1969
Son dossier médical 1939 à 1969 résumé:
blessures et déchirures vaginales, traumatismes thoraciques, fractures du bras, droit, gauche, par torsions, fracture du fémur, lésion arcade sourcilière, fractures des côtes, décollements placentaires, hématomes périorbitaires, traces de strangulation, fractures du nez, du poignet, contusions plaies jambes & bras, traumatisme crânien, lésion du foie, rupture de la rate, fausses couches, etc, en boucle !
Maya femme battue, femme mariée d'office à 15 ans, femme violée, violentée toute sa vie qui a su rester libre, libre dans son esprit, libre dans ses pensées, libre parfois dans ses actes: - sa participation même mineure à la résistance contre la colonisation française en est un exemple, - sa 'victoire' pour se faire ligaturer les trompes sans le consentement de son mari en est un autre, - sa passion pour la littérature, la politique, les faits de société l'exprime également.
$*$ Lilya, 2019-2020 à l'essence moins prégnante que Maya et pourtant, la peur en commun, pas la même, une autre, aussi réductrice, peut-être plus.
Lilya dans le Maroc d'aujourd'hui est une jeune femme indépendante, journaliste, éduquée, jouissant d'une liberté d'actes, de choix de vie et d'amour(s) qui s'est comme emprisonnée, privée elle-même de liberté par sa peur d'être enchaînée à l'autre (à un homme). En raccourci, elle s'est fait peur à elle-même de peur de ---
2 femmes, 2 destins, une parenté.
Deux voix qui se rejoignent dans la peur pour tenter via l'auteure de nous montrer aussi que la violence faite aux femmes ne réduit pas celles-ci au seul statut de victimes, que ces femmes existent également autrement, qu'elles ont une autre dimension tout comme leurs agresseurs, leurs maris, leurs bourreaux sans les excuser ni leur pardonner.
Pas simple à comprendre, pas facile à faire passer comme message mais important d'y réfléchir.
Voilà pourquoi ce livre a retenu mon attention du début jusqu'à la fin malgré ses maladresses, ses clichés, certains faux pas comme celui de parler de
Bertrand Cantat au détour d'une chanson, expliquant que Marie était violente elle aussi... question toujours en suspens --- la violence excuse-t-elle la violence, la violence mère de la violence, génétique, éducationnelle et le silence autour, complice souvent intra-muros ?
En résumé, un premier roman maladroit qui vaut sa lecture pour les questions qu'il nous pose et aussi pour quelques beaux passages d'écriture.
Le roman commence par '
Pourvu qu'il soit de bonne humeur'
et se termine par 'Pourvu qu'elle soit de bonne humeur'
- j'aurais pu vous laisser là sans explications car quelque part, c'est exactement ce à quoi l'auteure nous pousse, en essayant de nous faire réfléchir par nous-mêmes tout du long sans pardonner ni excuser quoi que ce soit. En nous parlant de liberté, de choix, de non-choix, de prison volontaire, de prison choisie consciemment ou pas, de prison imposée, subie - et comme je vous l'écris à l'instant, cela ne veut pas dire grand chose sans que vous le lisiez et que vous y réfléchissiez par vous-même.
Il serait temps, il est temps, plus que temps. Il est trop tard déjà ?
[Extrait Spoil : en même temps, la fin est dessinée dès le départ, donc pas vraiment ]
Maya. Tu m'entends ? N'est-ce pas ? Pardonne-moi. Dis quelque chose. N'importe quoi? Juste un signe que tu me pardonnes. Oh mon Dieu !
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Maya ?
Les bip-bip s'accélèrent. On dirait qu'ils sont dans une sorte de course folle vers quelque chose qui leur tient à coeur.
Ils galopent comme des chevaux sauvages sur un plage.
Ils courent frénétiquement n'écoutant que leur instinct et leur envie.
Ils sont libres. Tellement libres. Si libres que rien ne peut les retenir ici-bas.
- Maya. Reste avec moi. S'il te plaît, ne m'abandonne pas.
- ...
Pardonne-moi. Tout ce que tu veux, Maya, mais ne me quitte pas.
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Les chevaux sont libres. L'un a une belle couleur blanche, immaculée, qui scintille sous la lueur lunaire.
Le deuxième est d'un noir de jais; ses yeux sont rieurs.
Et le troisième a une robe alezane qui aspire la chaleur du sable.
La mer derrière eux est majestueuse, apaisante et immense.
Elle a une couleur qu'on a du mal à définir, teintée de l'éclat du reflet d'une pleine lune sur sa surface si paisible. Un oiseau volant haut dans le ciel, que je devine, plus que je ne vois, accompagne leur frénétique ballet, habilement exécuté et, en même temps, si spontanément animé.
La voix de Hicham me paraît lointaine, on dirait qu'il hoquette maintenant. Sa main serre la mienne très fort.
- Maya, je t'en prie. Je t'en supplie. Pardonne-moi.
- ...
Maya, pardonne-moi, s'il te plaît.
- JAMAIS
C'est le dernier mot qui sort d'un souffle.
Avec mon dernier souffle.
Je pars avec les chevaux.
Je pars avec l'oiseau.
Je pars vers la mer. Mes gouttes de mer.
* Maya, issu d'une racine hébraïque du prénom Mar'yam qui signifierait princesse de la mer ou peut-être goutte de mer.
Comme celle dans laquelle elle a plongé pour la première fois en 1954 à 30 ans.*
- Roman acheté début avril 2021 -