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EAN : 9782754107853
192 pages
Fernand Hazan (17/09/2014)
4/5   1 notes
Résumé :
Livre neuf. "L'Énigme Marcel Duchamp. L'art à l'épreuve du Cogito" par Philippe Sers.Parce qu'elle est d'un caractère volontiers provocateur et insolent, parce qu'elle a un aspect désinvolte et disparate et culmine en des propositions qui ont l'apparence d'un pied-de-nez au jugement critique, l'?uvre de Marcel Duchamp est la grande énigme de l'art contemporain. L'auteur dans cette nouvelle édition démontre comment Marcel Duchamp, qui a procédé à la publication systé... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
L'oeuvre reste comprise de manière plutôt restrictive et le nom de Duchamp est irrémédiablement associé à une série de provocations iconoclastes qui formeraient en quelque sorte son programme artistique : Nu descendant l'escalier, Joconde outragée ou urinoir travesti en fontaine etc. Malentendu que cet essai très utile veut tenter d'éliminer. Ouvrir le dossier Duchamp n'est pas une mince affaire. Revenir à ses intentions premières, c'est ce que propose d'abord Philippe Sers dans cet essai solide et sérieusement documenté - une enquête rondement menée - passionnante et parfois très amusante (les pièces à conviction sont aussi des calembours ou des jeux de mots sophistiqués, des contrepetries scabreuses qu'il faut bien décrypter...). Déconcertant, Duchamp est fait pour le rester longtemps, mais pas uniquement : audacieux, véritable libre-penseur de son art et s'engageant solitaire sur la voie d'un défi anti-rétinien, une vraie révolution.. Telle est la démonstration de Philippe Sers, qui par son approche globale amène le lecteur à repenser l'oeuvre dans un continuum singulier, à revoir la position occupée par l'artiste sur la scène artistique ainsi qu'à comprendre son apport dans l'évolution de l'art du XXe siècle. Une reconfiguration nécessaire qui complète l'exposition actuelle au Centre Pompidou .

Le postulat de départ qui fait de Duchamp le père du nominalisme contemporain est basé sur une définition erronée du ready-made laissée par André Breton : «objets manufacturés promus à la dignité d'objet d'art par le choix de l'artiste ». Définition ni contredite, ni validée par Duchamp, fidèle à ses habitudes, mais contestée par Philippe Sers car contenant en germe une tentation idéologique et véhiculant l'idée simpliste d'un Duchamp promoteur du "n'importe quoi" en art, et restreignant l'interprétation pouvant être faite de son oeuvre. Si l'urinoir est bien un marqueur, ce n'est pas son caractère provoquant que retient Philippe Sers pour définir son importance. L'urinoir est un moment de vérité dans les trois temps indissociables qui scandent la célébrité de Duchamp aux USA : l'exclusion de son Nu du Salon d'Automne à Paris en 1912, son succès à l'Armory Show de New-York en 1913 et le scandale de 1917 provoqué par ledit urinoir transformé en fontaine et signé R. Mutt. L'apparente opposition entre les deux réceptions du Nu, à Paris et à New-York, masque paradoxalement une similitude de situation : un diktat esthétique a généré une décision, dans un cas de rejet (1912) et de succès dans l'autre (1913). L'oeuvre (dite) d'art n'a de statut que par l'instance qui le décrète. Evincé à Paris, puis adulé à NY : du pareil au même pour Duchamp, ulcéré en 1912 et conscient de l'inévitable duperie en 1913.

L'urinoir, loin de n'être qu'une simple provocation en 1917, est l'occasion un peu vengeresse de mettre enfin l'institution - en l'occurrence le Salon des Indépendants de New-York dont il est membre fondateur - devant les limites de jugements fort hasardeux concernant le goût et l'esthétique dont l'artiste a décidé de se démarquer. Salon d'ailleurs qui après avoir exclus l'urinoir choquant signé Mutt, reviendra sur sa décision apprenant que Mutt = Duchamp. Duchamp laisse tomber le Salon, il réussit, selon Philippe Sers, à démysthifier une instance publique de réception d'une oeuvre, avant de vouloir promouvoir un quelconque objet, fusse-t-il un de ses ready-made, au rang d'objet d'art. Ainsi se conjuguent souvent dans la vie de Marcel qui veut s'en amuser : situation-vérité, paradoxe et hasard, pour former le ciment de ses explorations. Pour lui, aucune institution, aucun procédé conventionnel, aucun goût ne sauraient définir l'art. L'art est ailleurs, ainsi l'a-t-il compris deux fois en 1912 et 1913 puis démontré en 1917 par une expérience de vérité.

Mais plaisanteries, jeux de langage ou d'image et amusement, étaient déjà des moyens expérimentés dès l'enfance, dans sa jeunesse normande et parisienne, faisant partie de sa boîte à outil : "Yvonne et Madeleine Déchiquetées" (1911) ; comme son goût du paradoxe (héritage Kierkegaardien) qu'il ne cesse de développer, érigé en véritable domaine de connaissance pour envisager de nouveaux possibles toujours associés au hasard : "Trois stoppages-étalon" (1913-1914), "Why not sneeze Rose Selavy" (1921), ou la Porte 11 rue Larrey (1927), éléments que Philippe Sers met en relief et qu'il analyse soigneusement pour illustrer ce premier volet du dossier et éclairer ensuite son interprétation du Grand Verre ou "La Mariée mise à nu par ses célibataires, même" et de la dernière oeuvre "Etant donnés : 1° la chute d'eau, 2° le gaz d'éclairage"...

Avec le Grand Verre, oeuvre par ailleurs extrêmement documentée via d'autres oeuvres de l'artiste, Duchamp organise un principe de composition nouveau où se dévoilent ses intentions. le Grand Verre agit comme un "transfert d'évidence", selon Philippe Sers, où s'inscrit la pensée de Marcel Duchamp par un changement d'échelle (277,5 cm x 175,9 cm), un changement de support (le verre) et un changement d'état (représentation mécanique du désir comme métaphore du vécu sentimental, que sa complexité rend impossible à appréhender autrement). Huit ans de réflexions - une Boîte verte (1913-1914) devait permettre de l'aborder d'une manière non rétinienne (hors du champs de toute esthétique visuelle) en lui donnant son sens. Ellaboré entre 1915 et 1923, le Grand Verre offre ce que la "Boîte en valise" de 1935-1941, son musée portatif, suggère en réduction : ses oeuvres miniaturisées (69) y sont présentées autour de la "Mariée mise à nu"....comme une sorte de journal de bord de tous les hasards rencontrés, de toutes ses expériences vitales dont le processus amoureux fait partie. Sers rappelle justement que Duchamp s'est choisi un double nommé "Rrose Selavy" (sic), traduire : Eros c'est la vie. le Grand Verre est un "Appareil métaphorique", matérialisant le processus amoureux, ou plutôt le désir, figuré par deux domaines, celui des célibataires dans la partie inférieure et celui de la mariée dans la partie supérieure, représentés sous une forme mécanomorphique. le Grand Verre et la Boîte en valise illustrent un processus, une somme d'expériences générant une nouvelle conception de l'oeuvre d'art qui la distingue complètement de l'objet sur lequel se fonde une esthétique. CQFD. L'un des acquis majeur apporté par Duchamp. Passage d'une esthétique à une éthique.

La dernière oeuvre "Etant donnés : 1° la chute d'eau, 2° le gaz d'éclairage"... (1946-1966), dont Duchamp organisa soigneusement la réception après sa mort, et sur laquelle il travailla secrètement pendant vingt ans exploite la même veine thématique que le Grand Verre : l'amour. Mais à la différence du Grand Verre où le processus amoureux est décrypté par une mécanique des fluides en deux dimensions, "Etant donnés..." est une installation panorama ("mise en volume du Grand Verre") analysée par Philippe Sers comme la démonstration de l'échec absolu de la représentation mimétique d'une expérience vitale par des moyens rétiniens, ce qui le rapproche de Kandinsky. Ici, il s'agit de la représentation du passage de la vierge à la mariée (sujet qui "travaillait" autrefois sa peinture, dès le mariage de sa soeur Suzanne), une scène où Duchamp condamne le spectateur, transformé en voyeur, à rester coincé derrière une porte fermée percée de deux trous, pour observer ce qui se déroule de l'autre côté et que je m'empresse de ne pas révéler. C'est le dernier clin d'oeil de Marcel Duchamp (on pense inévitablement à Courbet) à la postérité qui vient clore également avec brio la démonstration de Philippe Sers. Duchamp, précurseur du dadaïsme et loin du dilettante provocateur, s'affirme au contraire, dans une continuité de recherches hors du commun, comme l'un des grands inventeurs de l'art contemporain. Sa postérité est peut-être à rechercher du côté de Joseph Beuys, Tadeusz Kantor, Yves Klein ou Bill Viola.
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
C'est la fin de l'esthétique non par indifférence à la valeur, mais par valeur d'indifférence esthétique : nous sommes donc bien dans une dynamique de dépassement du goût, un passage de l'esthétique à l'éthique, la marche vers l'ethos, qui est la préoccupation prioritaire de Marcel, le jeune homme triste dans un train. p. 88

(au sujet de la "Mariée mise à nu par ses célibataires, même"
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Contrairement à ce que dit Breton, il ne s'agit pas pour Marcel de nommer les choses "art", mais de dénier aux mots leur prétention à remplacer l'expérience. Derrière les louanges qui lui sont décernées de nos jours, la démonstration de Duchamp est en réalité anéantie et transformée en une série d'affirmations contraires à sa pensée, mais que l'on place abusivement sous son autorité. p.92
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