Istanbul, la ville aux Sept collines, du temps de la splendeur de l'Empire ottoman au XVI eme siècle, est l'un des principaux personnages de ce roman que l'on lit comme un conte.
Où l'on suit avec un bonheur d'enfant les aventures de Jahan débarqué à douze ans dans cette Constantinople en compagnie de Chota, un éléphanteau blanc.
Il découvre une cité effervescente et bigarrée où se côtoient en bonne intelligence musulmans, juifs, chrétiens, Grecs, Circassiens, Tatars...J'arrête ici la liste car il y avait alors «soixante douze tribus et demie», la demie désigant les Gitans dont on recommande d'emblée à Jahan de se tenir à l'écart.
Débutant comme cornac du Sultan Soliman le Magnifique (car oui, il faut savoir que tout sultan qui se respecte possède une véritable ménagerie avec dompteurs et soigneurs adaptés), notre jeune héros que l'on va suivre de nombreuses années va également rapidement être pris sous l'aile du grand et bon Sinan, architecte du Sultan, qui le choisit comme apprenti. (Il faut d'ailleurs noter ici que le titre en français désigne donc Sinan alors que le titre original en anglais est «l'apprenti de l'architecte» qui désigne vraiment notre héros mais bon, c'est vrai , ça «sonnait» moins bien....)
Tout sultan digne de ce nom a également engendré, vous n'en doutez point, une ravissante fille dont on ne peut que tomber raide amoureux.
En l'espèce, elle est incarnée par la princesse qui répond au doux prénom de Mirhimah et qui ne laissera pas insensible le coeur de notre Jahan.
Même si elle feint de n'avoir d'intérêt que pour Chota l'éléphant, elle sera séduite par les récits imaginés par Jahan sur son enfance en Hindoustan avec son son frère de lait l'éléphant. (Et on la comprend, parce qu'il les raconte bien ses histoires).
Ainsi, le décor est posé et Jahan est prêt pour moultes aventures: il participera entre autres choses, à la construction de mosquées, aqueducs, ponts, harems et à la rénovation aquifère d'Istanbul qui voit sa population augmenter à grands pas.
Il affrontera de nombreuses épreuves à commencer par de sinistres individus comme le capitaine Gareth ou un grand vizir qui l'enverra dans une infâme prison, «la forteresse aux sept tours».
Il sera également contraint de faire la guerre avec son éléphant, affrontera des incendies ravageurs et passera au travers de nombreuses épidémies comme la peste.
Il faudra compter aussi avec la religion obscurantiste qui s'accommode mal des progrès de la science en matière d'astronomie. Ainsi ,«Qui étaient ils pour oser surveiller Dieu?» Les calamités comme la sécheresse, les tremblements de terre ou les guerres perdues qui s'abattent sur Istanbul ne peuvent être que la faute d'un magnifique laboratoire d'astronomie bâti par Sinan et ses apprentis qu'ils devront malheureusement détruire de leurs propres mains.
Heureusement, Chota est un excellent compagnon et il est aussi beaucoup question d'amitié en particulier avec le gitan Balaban qui sauvera la vie de notre héros à de nombreuses reprises (pas si mauvais finalement ces bougres de gitans...). La relation avec le Maître Sinan est également très belle même si l'on ne peut pas en dire autant entre apprentis où la jalousie rôde...
Jahan aura également la chance de rencontrer le grand
Michel-Ange, «Il Divino», lors d'un voyage à Rome. D'ailleurs, l'épisode de la vie de ce dernier dont fait l'objet «Parle leur de de batailles de rois et d'éléphants» de
Mathias Enard (décidément, le pachyderme est de rigueur!) est brièvement évoqué.
Ce conte initiatique est construit en courts chapitres inclus dans quatre parties principales, entrecoupés d'agréables petits dessins (à l'image de la couverture) rendant la lecture très fluide et tout le vocabulaire relatif à l'univers oriental et en particulier, sa sensualité, imprègne le récit.
Ekif Shafak qui m'avait séduite avec «
La Bâtarde d'Istanbul», moins avec «
Lait noir», signe ici un grand roman dont je ne serais pas étonnée qu'il soit adapté au cinéma et dont la magie opère longtemps après avoir tourné la dernière page.
Merci aux editions Flammarion et à Babelio pour cette lecture.