Paouw ! Comment décrire ce livre sans tomber dans le clivage "Pour" "Contre", "Ce que j'aime" " Ce que je n'ai me pas" ? Il est vrai que l'auteure, en ayant des idées bien arrêtées et en défendant corps et âme son bout de gras, pourrait, peut-être malgré elle, déclencher des réactions tranchées et clivantes. Ce ne serait pas rendre hommage à la densité de son écrit, mais ça pourrait être une réaction prévisible à un ton parfois à la limite de l'agressif.
Passionné d'Iran, j'ai lu de nombreux témoignages d'exilés ayant quitté leur pays natal suite à la révolution islamique et à la guerre contre l'Irak. Si tous sont passionnants, il faut bien avouer qu'ils sont souvent écrits par des personnes qui ont été engagées politiquement, ou qui sont issues des très proches du Shah. "Khomeiny,
Sade et moi" a ceci d'original qu'il nous expose la réflexion d'une française d'origine iranienne, issue d'une famille bourgeoise mais pas vautrée dans le faste, dont la proximité avec le pouvoir royal était relativement faible. Ainsi, les SHAHMANI n'ont pas juste eu à poser leurs valises dans un de leur énième appartement parisien, avec quelques centaines de milliers de francs en petite coupure dans les valises ou les tapis. Ils ont dû s'installer dans un quartier populaire de la capitale,, et vivre de boulots peu qualifiés, sous le statut de réfugiés politiques.
C'est ce vécu, et une sincérité à toute épreuve, qui rendent le témoignage d'Abnousse SHAHMANI rare. Comment réagit une adolescente pour qui la vie a basculé lorsque les barbus ont pris le pouvoir dans son pays, quand elle se rend compte qu'en France aussi, les barbus ont leurs soutiens et leurs adeptes (qui sont souvent des gens nés dans un système qui leur permet justement des les critiquer sans risquer la mort) ? Comment réagit une adolescente quand elle retrouve la même bêtise que chez les mollah dans les familles de ses camarades d'origine maghrébine ou chez les parents de ses fiancés, des bcbg 100% parisiens ? Comment réagit l'ancienne réfugiée politique quand on la traite de raciste si elle ose se dire contre le voile intégral ? Comment réagit l'ancienne traumatisée de Khomeiny quand des camarades de collège nés en France lui présentent des condoléances quand le dictateur est mort, alors que c'est pour l'une des journées les plus joyeuses de sa vie.
Lire "Khomeiny,
Sade et moi", c'est s'enfoncer dans la réflexion profonde et remarquablement bien construite d'une philosophe obsédée par le vivre ensemble, la démocratie et la laïcité. C'est suivre un cheminement d'une logique implacablement bien défendue. C'est (ENFIN) entendre le point de vue d'une immigrée de culture musulmane qui a choisi d'épouser les idéaux de son pays d'accueil, car elle et ses proches en ont trop bavé de l'islam politique pour soutenir un quelconque prosélytisme d'état.
On ne peut que suivre SHAHMANI quand elle défend ses idées, quand elle explique pourquoi défendre la laïcité ne veut pas dire être raciste ou obtus. On adore sa culture littéraire prodigieuse et la psychanalyse familiale à laquelle elle se livre pour mettre en relation les habitudes orientales et occidentales. On adore quand elle nous raconte des anecdotes parlantes et qu'elle défend des valeurs qui sont les siennes. Féministe mais pas anti-hommes, elle n'a pas peur de dire aux femmes qu'elles sont en partie responsables de ce que certains se permettent de leur imposer. On ne peut pas lui reprocher un aveuglément de complaisance, car tout le monde en prend pour son grade.
En revanche, je déplore deux choses dans ce texte, qui m'ont empêché d'y apporter ma totale adhésion. 1) L'auteure semble se concentrer un peu plus sur ce qu'elle ne veut pas au lieu de ce qu'elle veut. C'est bien malheureux, car à la lire, on dirait parfois que le monde n'est peuplé que de cons. La portée de son message y gagnerait si elle prenait conscience qu'autour d'elle, de nombreuses personnes partagent son point de vue, et qu'il n'est donc pas nécessaire de s'emporter en permanence ! Bien sûr que face à elle, ce sont des opposants qui n'écoutent que ceux qui hurlent. Mais je ne pense pas que ce soit ceux-là qui lisent son livre. Peut-être que son discours y gagnerait si elle l'entourait de plus de positivité. 2) Sa désillusion sur les printemps arabes entretient le discours pessimiste ambiant sur les pays musulmans. Son analyse est indéniable en ce qui concerne l'Egypte, mais je la trouve particulièrement injuste avec la Tunisie. Son analyse de la situation du pays s'arrête trop tôt. Depuis, les choses ont bougé dans ce petit pays. Et il s'y est passé le contraire de ce qu'elle déplore ! Les islamistes ne se sont pas installés : ils ont été dégagés démocratiquement. Les femmes des milieux populaires se sont certes un peu plus voilées, mais le voile intégral ne fait pas d'émules. Les femmes conservent leur liberté, et elles en gagnent même : égalité des sexes inscrite dans la constitution, renforcement de la loi contre la violence faite aux femmes, abolition de la loi qui obligeait les non musulmans à se convertir pour épouser des tunisiennes. le gouvernement travaille maintenant à inscrire l'égalité dans les droits d'héritage (qui est contraire à la charia). N'est-ce une française convertie, mère de djihadiste, qui a récemment dit qu'elle avait tenté de vire en Tunisie, pensant y trouver un pays extrémiste, et qu'elle en était très vite partie car "on lui demandait de se dévoiler pour travailler", et car les tunisiens ne font pas la prière, boivent de l'alcool et adorent les mini-jupes ?
Vous l'aurez compris, le livre d'Abnousse SHAHMANI se lit très bien, est énormément bien construit et crie des idéaux dans lesquels chacun peut se reconnaitre. En tous les cas, il ne laisse pas insensible et l'auteure est dotée d'une intelligence et d'un sens du raisonnement admirables. Néanmoins, je pense que son discours pourrait avoir encore plus d'impact et d'adeptes s'il était moins enflammé et plus tourné vers la joie de vivre ensemble dans la laïcité et le respect des autres (et notamment de femmes) plutôt que vers le malheur de savoir que des barbus sévissent sur terre.