Deuxième lecture de ce gros roman rédigé entre 1942 et 1944 par un écrivain d'origine mandchoue et né à Pékin en 1899. Lao She (titre respectueux de « vieux professeur » donné par les disciples à leur maître) campe ici le portrait de plusieurs familles pékinoises, à partir du 7 juillet 1937, date de l'occupation de Pékin par les Japonais.
Le Pékin d'antan est le personnage central du roman, avec ses vieux quartiers aujourd'hui disparus, ces ruelles nommées « hutongs » dont il ne subsiste à peu près rien mais qui, à l'époque, abritaient un petit monde grouillant de familles de tous niveaux sociaux. Ici, nous sommes dans la ruelle du Petit-Bercail, en forme de coloquinte ou de gourde, avec long col, une première cour comme un buste féminin, resserrement à la taille et ventre rond. On dirait un corps de femme. Elle abrite la famille Qi, celle qui justifie le titre, regroupant un arrière-grand père de 75 ans, ses enfants et petits enfants, les petits derniers encore tout jeunes. C'est sur l'aîné des petits-fils, Ruixan, professeur dévoué et homme responsable, que repose le bien-être de la famille. Son plus jeune frère, Ruiquan, romantique et patriote, est parti pour se battre. le puîné, Ruifeng, est un jeune homme opportuniste qui veut réussir, y compris en jouant la carte de la collaboration.
Autour des Qi, plusieurs familles se côtoient, poète torturé par les Japonais dont les deux fils meurent, l'un en tant que héros de guerre. Famille de parvenus lamentables qui cherchent à profiter de la guerre pour obtenir un poste de fonctionnaire, couple de chanteurs d'opéra, tireur de pousse, barbier, tapissier. le petit monde de la ruelle est complexe et dans l'ensemble on s'entend bien, même si un jour on dénonce son voisin pour obtenir des faveurs de l'ennemi...
On assiste à un spectacle lamentable : l'organisation par le petit-fils collabo au défilé de l'école pour « célébrer » la fête nationale, et en même temps la prise de Baoding par l'ennemi. Honte, « perte de face », les professeurs refusent de venir encadrer le défilé, les élèves baissent la tête, déchiquettent les drapeaux en papier, ceux du Japon, qu'on leur a mis dans les mains, triste défilé d'ombres honteuses...
Lao She évoque de façon indirecte les horreurs de la guerre, ici ni effusion de sang ni massacres mais un peuple chinois décrit comme doux et pacifique, non préparé à de hauts faits d'armes malgré des héroïsmes ponctuels, des gens qui veulent simplement vivre et jouir de petits plaisirs en toute quiétude. Pourtant, les vilenies, indépendantes de l'occupant, sont évoquées au détour d'une phrase : enlèvement et viol d'une femme devenue concubine malgré elle, jeunes filles du collabo Guan proposées comme monnaie d'échange pour l'obtention d'un poste, violence conjugale exercée par
le tireur de pousse.
Le foisonnement de personnages, tous évoqués à traits précis et acteurs d'anecdotes vivantes, fait de ce texte un roman vivant et incroyablement réaliste. Nous y découvrons une Chine aux valeurs ancestrales mais aussi un jeu de relations extrêmement complexe, encore vivace aujourd'hui. Et une dénonciation des autoritarismes d'État, un plaidoyer pour la dignité des petites gens et le respect des hommes de paix et des érudits. Il est remarquable que certains personnages se récitent ou savent citer des passages entiers de textes très anciens, datant de plusieurs siècles.
L'auteur, Lao She, a été « suicidé » en 1966...
Aujourd'hui encore, on peut écouter des Chinois raconter combien ils ont souffert de cette guerre et la haine du Japonais reste très vivace.
Annexe:
Lin Daiyu, personnage du roman de Cao Xuejin, le Rêve dans le pavillon rouge, type de la beauté d'apparence fragile
Lin Daiyu (林黛玉, Lín Dàiyù, « Lin Jade sombre », récit IIN 1, aussi appelé soeurette Lin. Plus jeune cousine de Jia Baoyu, elle est aussi son premier amour. Fille d'un mandarin de Yangzhou nommé Lin Ruhai (林如海, Lín Rúhǎi, « Lin Tel que Mer ») et de Dame Jia Min (贾敏 / 賈敏, Jiǎ Mǐn, « Lin Tel que Mer »), tante paternelle de Baoyu. Elle est maladive (souffre notamment d'une maladie respiratoire) mais extrêmement belle. le roman à proprement parler débute au récit III avec l'arrivée de Daiyu au Palais de la Gloire, peu après le décès de sa mère. Émotionnellement fragile, sujette aux crises de jalousie, Daiyu est néanmoins une poète et musicienne accomplie. le roman la désigne comme l'une des Douze Belles de Jinling et fait d'elle une fille seule, fière et finalement une figure tragique. Daiyu est la réincarnation d'une fleur du récit-cadre : la merveilleuse plante aux Perles pourpres. Elle descend dans le monde des humains pour s'acquitter de sa dette (qu'elle paiera en larmes) envers le Roc déifié, Baoyu, pour l'avoir arrosée dans une réincarnation précédente.