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4,3

sur 1391 notes
Magistral. J'ai rarement lu une narration si maîtrisée, avec des éléments clefs soigneusement dilués, des personnages détestables et pourtant captivants. Les lettres d'Eva sont l'occasion de revenir sur la jeunesse de Kévin mais aussi de faire la critique d'un pays malade et hypocrite.
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J'ai connu ce roman par les nombreuses critiques positives que j'ai glanées çà et là sur Internet ; ce sont elles également qui m'ont donné envie de le lire. Toutefois, la lecture m'a déçue : si le livre a de nombreux points positifs, il a aussi des faiblesses qui le handicapent fortement.

Commençons par les points positifs. Lionnel Shriver a pris de gros risques pour s'attaquer à la question : "qu'est-ce que j'ai bien pu faire pour que mon fils devienne un tueur ?" Pour y répondre, elle (oui, Lionel est une femme) a, semble-t-il, beaucoup réfléchi et s'est beaucoup documentée. de fait, certaines scènes sont si bien fournies qu'elles en deviennent réelles : l'épisode où la maison de la mère du tueur est aspergée de laque rouge n'aurait pas eu le même impact si la narratrice n'avait pas dû sortir par le jardin car la porte d'entrée était collée à cause de ladite laque ; les soins nécessaires à Célia après que les chirurgiens ont dû lui retirer un oeil aspergé de Destop sont décrits avec de tels détails qu'ils ne peuvent pas avoir été inventés. Quant aux réticences de la narratrice à tomber enceinte, sont tellement crédibles que je suis convaincue avoir fait quelque avancée en psychologie humaine rien qu'en ayant lu ce livre.

Cependant, ces points positifs sont contrebalancés par de grandes faiblesses. En ce qui concerne la première, j'irai jusqu'à parler d'erreur : ce livre n'aurait pas dû être écrit sous forme épistolaire (la narratrice écrit à son mari), en tout cas, pas de cette manière. En effet, dans une correspondance réelle, il existe une connivence entre l'auteur et le destinataire qui conduit à l'élision de certaines précisions. Or, il apparaît clairement que, durant environ les 200 premières pages (sur les 486 que compte mon édition), ce n'est pas la narratrice qui écrit à son mari, mais l'auteur - Lionel Shriver - qui écrit pour son lecteur. Par exemple, la narratrice précise l'endroit où se trouvait le loft, puis la maison où elle a vécu avec son mari (alors qu'aucun doute n'est possible, puisqu'ils n'ont vécu que dans un seul loft et une seule maison), l'endroit où vit sa mère (alors qu'elle vit recluse dans sa maison depuis environ la naissance de sa fille), etc. Ces petits détails, cumulés, démentent encore et encore l'authenticité du récit.Sans doute aurait-il mieux valu que la narratrice tienne un journal intime, auquel elle aurait pris soin de tout expliquer, comme si elle s'adressait à un inconnu (comme l'avait fait Anne Frank dans son journal bien réelle, ou Jamila dans la fiction de Frank Andriat le Journal de Jamila). Même si, c'est vrai, la forme épistolaire permet un "retournement" final. Je mets "retournement" entre guillemets car je l'avais senti venir au bout d'une trentaine de page, dans la mesure où rien dans les lettres de la narratrice ne laisse de l'espace à son mari pour qu'il réponde ou puisse réagir, ce qui dément parfaitement le titre du roman, qui appelle plutôt un débat (vous la voyez, la discussion bien houleuse entre les deux parents ?). Je n'en dis pas plus, afin de maintenir le suspens pour les futurs lecteurs.

Autre problème lié à la forme épistolaire : la découpe. La narratrice termine ses lettres selon des séquences qui conviennent parfaitement à des chapitres successifs (notamment pour maintenir le suspens), mais pas à un échange véridique de lettres, où l'on tend à regrouper dans une même lettre l'ensemble de la thématique abordée.

La deuxième faiblesse est liée au caractère de Kevin. Que sa mère le voie tout en noir alors que, au final, il était un petit garçon comme les autres (comme cela apparaît à quelques reprises dans le roman), aurait été très instructif. Mais que des indications tendent à prouver qu'il était réellement un démon dès sa plus tendre enfance - comme la démission de la deuxième baby-sitter, dont la dévotion n'a pu empêcher l'épuisement causé par Kevin - vont trop loin : le récit perd sa crédibilité. En fait, si la narratrice avait accouché de Satan en personne, on n'aurait pas vu beaucoup de différence. Les épisodes où la mère se met à douter de ses accusations (voir l'histoire des briques jetées sur les pare-brises des voitures ou l'accident du Destop) sont beaucoup plus intéressants ; mais je n'ai compté que ces deux-là.

La troisième faiblesse est liée à la précision des souvenirs : que la narratrice se souvienne d'épisodes anciens qui l'ont marquée, c'est normal. Qu'elle reconstitue des dialogues, soit. Mais que ces souvenirs apparaissent comme frais du jour, non. Ils sont décrits avec une telle profusion de détails et de précisions qu'ils ne peuvent tout bonnement pas être les souvenirs d'une personne réelle - à nouveau, les ficelles de la fiction, écrite par l'auteur et non la narratrice, sont à nouveau trop visibles.

En somme, Il faut qu'on parle de Kevin est un livre avec de nombreuses qualités, qui s'est attaqué à une problématique difficile avec une bonne réflexion sur la psychologie des personnages. Mais ses défauts nuisent à sa crédibilité, à "l'immersion" du lecteur.
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