J'ai été surprise par la finesse et la précision de l'analyse psychologique de l'auteure. En créant ses personnages, elle a eu à coeur de creuser leurs incohérences, leurs motivations, leurs peurs, leurs faiblesses, et Eva (la narratrice, mère de Kevin) décortique méthodiquement sa relation à son mari, s'efforce de remettre précisément chaque rouage à sa place.
Cela prend du temps. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que ce roman n'est clairement pas un roman d'action. Personnellement, j'ai été happée par cette analyse, m'y reconnaissant à plusieurs reprises (tout particulièrement dans Eva, mais dans les autres aussi). Eva, en effet, est quelqu'un de fier qui renie sa féminité et a besoin de se lancer continuellement des défis. C'est quelqu'un de cosmopolite, qui aime passionnément un homme très différent d'elle – et la chanceuse ! Il le lui rend bien… – une personne qui aime comprendre et qui ne juge pas sur l'instant, mais après avoir mûrement réfléchi et englobé tous les paramètres de la situation.
Comment un enfant se transforme-t-il en tueur ?
C'est la question à laquelle elle tente de répondre – en vain. Car le postulat de l'auteure, c'est qu'il y a une nature en chacun de nous. On nait avec, on vit avec et on meurt avec. L'expérience de la maternité d'Eva montre que Kevin était monstrueux dès la sa naissance, que chacun de ses gestes, de ses cris, était destiné à nuire… Et cependant, sa mère était la seule à se rendre compte du mal qui exsude de cette petite personne – et comme c'est elle qui raconte l'histoire, on éprouve cet affreux sentiment d'incompréhension. Cassandre des temps modernes.
Mais si elle se trompait ?
Elle y a pensé plusieurs fois : pourrais-je avoir tort et Franklin aurait-il raison d'aimer son fils ? Voire même : n'est-ce pas à cause de moi, de mon désamour que mon enfant est aussi mauvais ? le roman apporte une ébauche de réponse :
pas vraiment. Car dans le doute, voulant certainement se prouver qu'elle n'est pas une mauvaise mère et que le problème vient bien de Kevin, Eva décide d'avoir un second enfant. Les deux grossesses, les deux naissances et les deux bébés sont incomparables : deux opposés. Autant la première maternité et le premier accouchement étaient affreusement compliqués et douloureux, autant les seconds se font en toute évidence, en toute simplicité. Idem : la petite soeur de Kevin est aussi gentille et sensible que son frère est cruel et froid (toujours d'après Eva). On a donc bien confirmation que le problème ne vient pas d'elle… Tout en réalisant que cette grossesse-là était parfaitement voulue pour ce qu'elle était – et non pas juste pour perpétrer les gènes de Franklin si jamais celui-ci venait à mourir (ironie, quand tu nous tiens…)
Je n'aime pas le postulat de ce roman. Pas du tout. C'est beaucoup trop fataliste pour me plaire, et je préfère me dire que chacun d'entre nous se construit jour après jour et peut choisir de ce qu'il devient – à condition de le vouloir et de faire des efforts. Tout le monde peut mal tourner, il suffit d'être mal entouré.
À l'inverse, tout le monde peut devenir quelqu'un de meilleur.
La raison pour laquelle j'ai mis une note si basse pour un livre que j'ai pourtant vraiment aimé, c'est donc à cause de ce point de vue fataliste auquel je n'adhère pas du tout (Kevin aurait pu naître dans n'importe quelle famille de n'importe quel milieu, cela n'aurait rien changé)
. Mais c'est aussi à cause du fait que la relation entre Eva et son fils s'apaise en seulement quelques pages. Comment ? Mais parce que Kevin, en détention dans un établissement pour mineurs, vient d'atteindre sa majorité et qu'il sera transféré dans une prison pour adulte, où il finira sa peine. Ce qui le terrifie au point que sa carapace se fissure, qu'il pleure et que cela attendrit sa mère !
Or, si Kevin était bel et bien un être malsain par essence, pourquoi, comment la prison pourrait-elle changer cela ? Lui qui n'a affiché que morgue et fierté chaque fois qu'Eva venait le voir au centre de détention, pourquoi le fait de changer d'établissement le transformerait-il ? Une facilité narrative qui permet de finir sur une note d'espoir, mais qui ne colle pas du tout avec le reste du récit. Dommage !
Malgré ses 600 et quelques pages,
Il faut qu'on parle de Kevin se lit très bien et plutôt vite. Certaines réflexions trainaient un peu en longueur, certaines facilités étaient un peu trop présentes
(la différence trop marquée entre le frère et la soeur, la fin trop facile, etc.). Cependant, ce roman aborde des thèmes forts : l'amour maternel n'est pas une gageure, l'innocence des enfants ne les empêchent pas de commettre des actes terribles (sans aller jusqu'au meurtre, beaucoup rackettent, lynchent et violentent gratuitement leurs camarades), même l'amour le plus profond ne protège pas du divorce, même la meilleure éducation n'empêchera personne de mal tourner.
Un roman enrichissant, mais que je ne pense pas relire. C'est le genre d'histoire qui est meilleure quand on la découvre.