Armée de son « gun », Anis fixe, respire et bloque. Tire. Clac. le diaphragme de son reflex se ferme… sur un cliché flou.
Les fays ont - entre autres - cette particularité de ne laisser leur indicible beauté se faire tirer le portrait. Les fays, nés vilains petits canards au sein de famille humaine, effraient. Pour un brin d'ADN qui diffère (ou deux), une origine mystérieuse qui leur vaut le surnom de changelins, tout un peuple - qui se distingue par des caractéristiques physiques qui tendent vers la perfection et des pouvoirs psychiques à faire pâlir n'importe quel XMen - est en proie à la discrimination, à l'oppression et la concentration, devient victime potentielle d'un génocide programmé. A Seattle, la résistance s'organise pour un exode massif vers la terre promise Frontier. Un exil qui ne peut se faire sur la voie de la non-violence car aucun fay ne devra être laissé en arrière. Les résistants oeuvrent à la libération des leurs, autant d'actes de guérillas urbaines que d'autres appellent actes terroristes…
Là où la réflexion sur ce sujet brûlant est abordée de manière évasive dans le premier tome de le Dit de Frontier - le recueil de nouvelles (incroyable)
Musiques de la Frontière -, Léa Silhol amène le lecteur dans ce roman - tome 2 du Dit - à faire sa propre introspection au travers de celle du personnage principal du roman, dans un road trip sur la route 5 de la Côte Ouest des USA, Highway 61 de
Bob Dylan à plein tube dans l'autoradio.
Possession Point n'est pas un roman cliché de l'évidente prise de parti pour les opprimés ou de l'éternel débat du la fin justifie-t-elle les moyens les plus extrêmes. Pas de jugement,
Possession Point n'est qu'un polaroïd instantané, un selfie avec toutes vos imperfections et brins d'ADN qui diffèrent.
Anis, jeune et jolie brin de femme, a échangé sa robe de princesse Disney pour le treillis et les rangers de Sarah Connor et rejoins les rangs des fays pour son cliché flou, son amour fou : Jay.
Possession Point est leur histoire d'A, une histoire tout aussi passionnée et renversante que celle de Francesca Johnson (Meryl Streep) et de Robert Kincaid (
Clint Eastwood) dans Sur la route de Madison. C'est un roman très cinéma US bourré de clins d'oeil avec une bonne bande son (
Bob Dylan, The Boss, Massive Attack, Status Quo), tout en flashbacks. Anis, rassemble ses souvenirs en un carnet de route de la rédemption nécessaire franchir le seuil de Frontier où vit désormais Jay.
Ces souvenirs sont autant de fils tissés entre les blancs laissés par les nouvelles du T1.
Possession Point peut se lire toutefois en ouverture mais le respect de leur ordre préserve, à mon sens, le charme du jeu de piste qu'orchestre
Léa Silhol avec sa Trame.
Le Dit de Frontier s'inscrit, avec Vertigen, Sacra, Seppenko Monogatari..., dans l'immense jeu de réincarnations et de déduction exigeant et remarquable de l'auteur. Cette tentaculaire Trame - en partie parue et rééditée par Nitchevo Factory depuis ces dernières années - est un hymne à l'amour, à la beauté et à toute forme d'art. Dans l'attente du troisième opus, Burn, en cours d'écriture, le Dit de Frontier s'étend avec le cycle de quatre tomes Seppenko Monogatari sur les terres du Japon aux vertueux arts ancestraux, dans un conte de fays d'encre et de neige, perdus dans la Matrice… Operating system not found… Vaste programme.