Quand
Dave Sim s'attaque à Church & State, son ambition est ni plus ni moins que d'écrire ce qu'il surnomme son roman russe : une fresque épique aussi dense que les oeuvres de
Féodor Dostoievski (
Crime et châtiment) ou celles de
Léon Tolstoï (
La Guerre et la Paix). de son propre aveu, Church & State accomplit beaucoup de choses, mais n'arrive pas à la densité visée.
A la fin de High society, Cerebus a tout perdu. Après quelques voyages, il revient dans la ville-état d'Iest et est cette fois-ci manipulé par Weisshaupt dont il a déjà croisé le chemin dans le tome 1. Cerebus refait campagne pour l'élection de premier ministre et réussit grâce aux manipulations de Weisshaupt à être choisi pour assumer la papauté de l'église de Tarim. Toutefois l'arrivée impromptue de Thrunk (une parodie de Ben Grimm des Fantastic Four) met un terme brutal à sa suprématie.
Encore une fois,
Dave Sim rehausse le niveau de ses ambitions (de ses prétentions diraient ses détracteurs) dans sa narration et frappe encore plus fort que dans "High Society". Il a encore franchi un palier dans la qualité de ses dessins et de la mise en scène dans ses planches. En cours de tome, il embauche un responsable des décors très talentueux du nom de Gerhard qui va élever la qualité de ses illustrations jusqu'à celle de son maître absolu,
Barry Windsor Smith.
Il est impossible de lister tous les thèmes abordés ou toutes les situations comiques brillamment scénarisés et mis en scène par le réalisateur
Dave Sim. le point de départ est que Cerebus, personnalité égocentrique et quelque peu immature, accède au pouvoir spirituel absolu et, par voie de conséquence, temporel absolu dans le monde fictif inventé par
Dave Sim. Les conséquences géopolitiques sont catastrophiques pour tous les hommes et les femmes de pouvoir qui ourdissaient leurs intrigues dans les couloirs du pouvoir.
Dave Sim pousse jusqu'au bout la logique de Cerebus dont le but ultime est de posséder tout l'or existant dans cette région du monde. Et ce faisant il détruit le fragile équilibre des pouvoirs en place, avec des conséquences désastreuses à court, moyen et long terme.
Parmi les moments les plus riches, on peut citer pêle-mêle une parodie fort réussie du Wolverine de Claremont et Byrne (
Dave Sim n'oublie jamais que son sort est lié à celui de l'industrie des comics où les superhéros sont sur-représentés), des séquences décrites comme si elles se déroulaient sur une scène de théâtre avec une économie de moyens remarquable et redoutablement efficace, la taille des bonnets de Red Sophia, la belle mère irascible de Cerebus (madame Henrot-Gutch, à vos souhaits !), les problèmes vestimentaires liés à l'appendice caudal de Cerebus (faux-pas hilarant), la rédaction des mémoires de Most Holy, le retour du Regency Elf, le retour de Lord Julius (parodie toujours aussi absurde de
Groucho Marx) et de Jaka...
Encore une fois
Dave Sim tire les comics et la bande dessinée vers le haut avec une oeuvre ambitieuse, démesurée, drôle, touchante, réfléchie. Avec ce tome, il enterre la compétition puisqu'il dépasse la barre des 80 numéros, soit plus que
Neil Gaiman sur Sandman ou
Garth Ennis sur Preacher. La cohérence de l'histoire est plus rigoureuse qu'un comics d'
Alan Moore. Quel Talent !