Citations sur Monsieur Gallet, décédé (17)
[...] ... Petit à petit, le vacarme des assiettes qu'on lavait à l'office devenait irréel et Maigret, engourdi, échappait à l'emprise obsédante de son mort.
A quel moment exact perçut-il comme le bruit de deux détonations ? Elles ne parvinrent pas à l'arracher tout à fait à sa torpeur, parce que aussitôt un rêve s'échafauda dans son esprit, expliquant ces sons intempestifs.
... Il était assis à la terrasse de l'hôtel. Tiburce de Saint-Hilaire passait en costume vert bouteille, suivi d'une douzaine de chiens aux longues oreilles ...
- "Vous me demandiez l'autre jour s'il y a du gibier dans la contrée ?"disait-il.
... Il épaulait son fusil, tirait au hasard, et il tombait une nuée de perdrix qui avaient des allures de feuilles mortes ...
- "Commissaire ! ... Vite! ..."
Il sursauta, vit une fille de salle devant lui.
- "C'est dans la chambre ... Des coups de feu ..."
Le commissaire eut honte de se sentir si lourd. Des gens couraient déjà dans l'hôtel et il fut loin d'atteindre le premier la chambre de Gallet, où il vit Moers, debout près de la table, les deux mains sur le visage.
- "Que tout le monde sorte !" commanda-t-il.
- "J'appelle un médecin ?" questionna M. Tardivon [= l'hôtelier]. Il y a du sang ... Regardez !
- Oui ... Allez ! ..."
La porte fermée, il marcha droit vers le jeune homme de l'Identité Judiciaire. Il avait des remords.
- "Qu'est-ce que c'est, petit ?"
Il le voyait bien, parbleu, qu'il y avait du sang ! Du sang partout ! Sur les mains de Moers, sur ses épaules, sur les plaques de verre et par terre !
- "Ce n'est pas grave, commissaire ... L'oreille ... Voyez ..."
Il lâcha un instant le lobe de l'oreille gauche et aussitôt le sang gicla. Moers était livide. Il essayait néanmoins de sourire et surtout d'arrêter le mouvement convulsif de ses mâchoires. ... [...]
Pour Mme Gallet, du moins, Maigret était désormais fixé. C'était une femme d'une cinquantaine d'années, franchement désagréable. Malgré l'heure, la chaleur, la solitude de la villa, elle était déjà armée d'une robe de soie mauve et pas un de ses cheveux gris ne sortait d'un rigide alignement. Enfin, le cou, le corsage et les mains étaient plein de chaînes d'or, de broches et de bagues cliquetantes.
[...] ... - "J'ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer, madame ... Votre mari est en voyage, n'est-ce pas ?
- Eh ! bien ! Parlez ... Est-ce que ... ?
- Un accident est arrivé, oui ... Pas tout à fait un accident ... Je vous demande d'être courageuse ..."
Elle se tenait toute droite devant lui, la main posée sur un guéridon qui supportait un faux bronze. Son visage était dur, méfiant, et il n'y avait que ses droits grassouillets à s'agiter. Pourquoi Maigret fit-il la réflexion qu'elle avait certainement été mince, peut-être même très mince, pendant la première moitié de sa vie, et qu'elle ne s'était empâtée qu'avec l'âge ?
- "Votre mari a été assassiné à Sancerre, dans la nuit du 25 au 26 ... C'est à moi que revient la tâche pénible de ..."
Le commissaire se tourna vers le portrait, questionna en désignant le premier communiant :
- "Vous avez un fils ?"
Un instant, Mme Gallet parut sur le point de perdre cette raideur qu'elle jugeait indispensable à sa dignité. Elle dit du bout des lèvres :
- "Un fils, oui ..."
Puis aussitôt, la voix triomphante :
- "Vous avez bien dit Sancerre, n'est-ce pas ? ... Et nous sommes le 27 ... Dans ce cas, vous faites erreur ... Attendez ..."
Elle passa dans la salle-à-manger, où Maigret aperçut la servante à quatre pattes. Lorsqu'elle revint, elle tendit une carte postale au visiteur :
- "Cette carte est de mon mari ... Elle porte la date du 26, c'est-à-dire d'hier, et le cachet de la poste de Rouen ..."
Elle avait peine à réprimer un sourire trahissant sa joie d'humilier la police qui se permettait de pénétrer chez elle.
- "Il s'agit sans doute d'un autre Gallet, quoique je n'en connaisse pas ..."
Pour un peu, elle eût ouvert la porte, qu'elle ne pouvait s'empêcher de regarder.
- "Le prénom de votre mari est Emile ? Et ses pièces d'identité lui donnent comme profession voyageur de commerce ?
- Il est l'agent de la maison Niel & Cie pour toute la Normandie !
- Je crains, madame, que vous vous réjouissiez à tort ... Je suis obligé de vous prier de m'accompagner à Sancerre ... ... [...]
En face de la mairie, des gens étaient attablés à la terrasse d’un café et il se dégageait de l’ombre des vélums rayés de rouge et de jaune comme une ambiance de bière fraîche, de glaçons flottants dans des apéritifs odorants, de journaux arrivés de Paris.
Chaque affaire criminelle a sa caractéristique, qu’on saisit plus ou moins vite et qui donne souvent la clé du mystère.
Est-ce que la caractéristique de celle-ci n’était pas la médiocrité ?
Médiocrité à Saint-Fargeau ! Ville médiocre ! Décor étriqué avec le portrait du gamin en premier communiant et le père en jaquette trop étroite sur le piano !
Médiocrité encore à Sancerre. Villégiature à bon marché ! Hôtel de second ordre !
Tous les détails venaient alourdir cette grisaille !
Représentant de la maison Niel : fausse argenterie, faux luxe, faux style !
La fête foraine, un tir et des pétards de surcroit…
Jusqu’à la distinction empruntée de Mme Gallet, dont le chapeau orné de strasse avait roulé dans la cour d’école !
Chaque affaire criminelle a sa caractéristique, qu'on saisit plus ou moins vite et qui donne souvent la clé du mystère.
Est-ce que la caractéristique de celle-ci ne serait pas la médiocrité ?
Médiocrité à Saint-Fargeau ! Villa médiocre ! Décor étriqué, avec le portrait du gamin en premier communiant sur le piano !
Médiocrité encore à Sancerre ! Villégiature à bon marché ! Hôtel de second ordre !
Au début, cela avait eu l'air d'une affaire de rien du tout. Un homme, qui avait toutes les apparences d'un bon petit bourgeois, était tué par un inconnu dans une chambre d'hôtel !
Or, chaque renseignement qui arrivait compliquait le problème au lieu de le simplifier.
- Tu as vu le gros monsieur, hein ? C'est un agent de police ! Si tu n'es pas sage, il te mettra en prison...
Le suicide n'est pas une lâcheté comme le prédisent les prêcheurs qui exagèrent .Ce n'est pas non plus un acte de courage .C'est une lutte entre deux craintes [...]
« Un roman est comme un archet, la caisse du violon qui rend les sons c’est l’âme du lecteur. »