On pourrait se croire dans un roman de Dickens dans ce livre de Betty Smith tant l'héroïne, la si attachante Francie, subit les affres de la pauvreté, dans le Brooklyn du début du XXe siècle. À 10 ans, elle n'est qu'une petite fille maigrichonne qui, avec son frère, court les rues pour récupérer détritus et autres marchandises à vendre au chiffonnier du quartier, afin de gagner quelques sous qui leur permettront de s'acheter de rares friandises. Car dans la famille Nolan, tous les sous sont comptés : le père Johnny gagne sa vie comme serveur et chanteur dans les soirées organisées. S'il ramène bien sa paye, irrégulière, à la maison, les pourboires lui servent à assouvir sa soif inextinguible de poivrot. La mère Katie est bien obligée de multiplier les ménages et de s'occuper de la conciergerie d'un immeuble pour offrir de quoi donner à manger à ses deux enfants. Quitte à y laisser sa santé, l'état de ses mains en témoigne. Et lorsque le compte n'y est pas, elle multiplie les efforts d'imagination pour consoler Francie et Neeley. de plus, la jeune fille s'aperçoit bien que sa mère lui préfère son frère (elle doit attendre un an pour rentrer à l'école en même temps que lui, et celui-ci est prioritaire pour entrer au collège, malgré ses dons d'apprentissage et sa volonté d'étudier). Malgré tout la petite Francie grandit dans cet environnement hostile avec un regard résolument positif, une vision émerveillée de la vie où chaque petit événement recèle une part de beauté, de douceur. Et puis il y a la lecture : un livre de la bibliothèque par jour, pour lire tous les livres de A à Z, ainsi qu'une page de la Bible et de
Shakespeare tous les soirs. Et une soif d'apprendre et de découverte qui reste intacte malgré les déconvenues. Ainsi qu'une imagination qui lui permet d'inventer les histoires et les amis qu'elle ne rencontre pas dans la vie. du coup le quartier de Williamsburg, Brooklyn, miséreux et populeux, devient un terrain de jeux charmant aux yeux de l'héroïne. Après chaque désillusion, et Dieu sait qu'elles sont nombreuses, la jeune fille réinvente son quotidien et repart de plus belle, car jamais elle ne perdra l'espoir. L'espoir dans des jours meilleurs, l'espoir d'une vie plus belle, l'espoir qu'un jour elle sera riche et célèbre, grâce à ses histoires, et pourra faire le bonheur autour d'elle. Un être solaire que nous suivons au fil des pages, la voyant grandir et devenir jeune fille. Une belle redécouverte que ce roman de Betty Smith, publié en 1943 aux États-Unis et 3 ans plus tard en France et complètement disparu depuis dans notre pays. Les amatrices et amateurs d'
Alice McDermott,
Richard Russo ou
Kent Haruf pour ne citer qu'eux, peuvent y retrouver ici leur mère spirituelle !