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Critique de clairelili


L'ouvrage "Sur la photographie" de Susan Sontag comporte 6 essais (suivis d'une "Petite anthologie de citations") publiés ensemble sous ce titre pour la première fois aux USA en 1977 et en traduction française en 1982 par Christian Bourgois.
Il m'a été envoyé dans le cadre de l'opération Masse Critique non-fiction. J'en remercie chaleureusement les Éditions Bourgois ainsi que Babelio.
Ce livre est décrit comme « culte. » Il est en effet souvent cité dans les ouvrages de photographie. C'est un incontournable qui m'a paru assez aride d'accès. Pas vraiment parce qu'il n'est pas illustré, même si je dois prévenir qu'il est préférable d'avoir regardé vraiment les oeuvres d'un certain nombre de photographes pour suivre sa pensée. Avec le temps, cela commence à être mon cas, même si je suis dilettante. Alors que j'avais pu lire sans problème « La Chambre claire » à 20 ans et l'adorer même si ma culture photographique était alors inexistante. Certes, les photographies que Barthes évoque sont reproduites dans son ouvrage. Mais surtout _ c'est ce qui me fait parler d'aridité_ Sontag est moins limpide que son maître, on peut le dire, moins séduisante, ou alors d'une séduction d'un style plus rugueux, qui porte davantage les marques des années 70, théoriques et parfois péremptoires. Même si son exigence, sa pugnacité soupçonneuse sont intéressantes, son style est parfois lourd, ses références accumulées un peu bourratives. L'humour est absent. On lit une intellectuelle, une intelligence, sans esprit de légèreté. J'ai vu qu'elle a écrit aussi des romans, je me demande si son style est différent dans ce genre.
Enfin, Susan Sontag se méfie de la photographie au point qu'on se demande par moments si elle l'aime, ou si elle a écrit ces essais tout simplement parce que nous sommes entourés de photographies, que nous devons vivre avec et que par conséquent penser cette relation est essentiel.
Un ouvrage à relire fréquemment tant il est riche. On se prend à rêver de savoir ce que sa clairvoyance aurait pu dire des réseaux sociaux aujourd'hui.
Je m'aperçois que ma synthèse essai par essai est interminable. C'est pourquoi j'ai donné mes impressions en premier, vous pouvez vous arrêter là. Sinon voici ma lecture détaillée :
"Dans la caverne de Platon" décrit les changements que l'apparition de la photographie et sa démocratisation ont opéré sur les êtres humains : leur façon de ressentir, de penser, de vivre leur vie et de se représenter le monde.
Dans l'expérience du voyage, tout d'abord, parce que la démocratisation de la pratique photographique a accompagné l'essor du tourisme. Sontag écrit cette phrase percutante : "Manière de certifier le vécu, prendre des photos est aussi une manière de le refuser, en le limitant à la recherche du photogénique, en le convertissant en image, en "souvenir". (p. 24)
Mais, plus terrible, " prendre une photographie, c'est s'intéresser aux choses telles quelles sont, à la permanence du « statu quo » (au moins le temps nécessaire pour obtenir une "bonne" photo), c'est être complice de tout ce qui rend un sujet intéressant, digne d'être photographié, y compris, quand c'est là que réside l'intérêt, de la souffrance ou du malheur d'un autre." (p. 28) Conséquence, p. 38 : "Les photographies produisent un choc dans la mesure où elles montrent du jamais vu. Malheureusement, la barre ne cesse d'être relevée, en partie à cause de la prolifération même de ces images de l'horreur. »
"L'Amérique à travers le miroir obscur des photographies" retrace comme son titre l'indique l'histoire des USA par le prisme de la photographie et l'histoire de la photographie aux USA : inspirée au début du XXème siècle par « l'humanisme euphorique » du poète Whitman puis dominée par une forme de réalisme social (une des figures emblématique en est Walker Evans) jusqu'au années 1950. Enfin, c'est sur l'oeuvre de Diane Arbus, dont la première rétrospective a lieu en 1977, que Susan Sontag s'arrête longuement, en l'interprétant d'une façon qui m'a décontenancée. D'après elle, « son oeuvre montre des gens pathétiques, pitoyables autant que repoussants, mais elle ne suscite aucun sentiment de compassion. » (p. 56) Pour ma part, ce que je connais de l'oeuvre de Diane Arbus m'a troublée, dérangée quelquefois, mais je n'ai pas trouvé ses modèles repoussants, ou vraiment rarement. Ce deuxième essai mérite donc d'être relu aussi, après observé d'autres photos de Diane Arbus sans doute.
Dans le troisième essai, "Objets mélancoliques", elle aborde les liens entre photographie et surréalisme, en évoquant Walter Benjamin et Baudelaire et elle conclue avec cette phrase frappante, p.120 : « Les photographes, travaillant à l'intérieur du cadre de la sensibilité surréaliste, laissent entendre qu'essayer de comprendre le monde est déjà une entreprise vaine et nous proposent à la place de le collectionner. »
L'essai suivant, « L'héroïsme de la vision », s'intéresse aux différences entre peinture et photographie et approfondit le questionnement sur les liens ou l'absence de lien entre photographie et vérité, poursuivant sur ce constat, p.157, que « quelque valeur morale qu'on veuille attribuer à la photographie, elle n'en aboutit pas moins essentiellement à faire du monde un grand magasin ou un musée sans murs dans lequel tout est soit ravalé au rang d'objet de consommation, soit élevé à celui d'objet d'un jugement esthétique. »
Dans « Évangiles photographiques », elle étudie la façon dont les grands photographes théorisent leur art, le considérant grosso modo comme « tantôt une activité lucide et précise de connaissance », « tantôt un mode de rencontre pré-intellectuel, intuitif ». (p.164), tantôt une expression de soi, tantôt un regard détaché sur le monde. Elle insiste sur le fait que l'acte photographique est en un sens une « prédation », ce que peu de photographes admettent.
Dans « le monde de l'image » enfin, Susan Sontag observe un autre couple problématique : photographie et réalité, en s'appuyant cette fois davantage sur les écrivains et leur pratique, Balzac, Thomas Hardy, Cocteau, Genet, J. G. Ballard, Thomas Mann, Proust, Melville, Nabokov. Elle le répète : « les images photographiques tendent à anesthésier l'expérience directe que nous avons des choses » (p.233), avant d'aborder le documentaire d'Antonioni « Chung Kuo », très contesté en Chine en 1974, pour approfondir les thématiques qu'elle a précédemment abordées.
« Les pouvoirs de la photographie ont bel et bien détruit la dimension platonicienne de notre compréhension de la réalité » conclue-t-elle enfin p. 248. Elle achève son ouvrage sur le constat du retournement de ce qu'elle abordait dans son premier essai : « Il convenait à l'attitude dépréciative de Platon à l'égard des images de les comparer à des ombres […] mais la force des images photographiques tient à leur statut de réalités matérielles, à ce qu'elles sont […] un puissant moyen de retrouver l'avantage contre la réalité, de la transformer en ombre à son tour. » Ce final brillant ouvre sur un appel dans la toute dernière phrase à s'engager sur le chemin d'une « écologie appliquée non seulement aux choses réelles mais encore aux images. »
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