Où est la glorieuse baronne
De Staël dans ces lettres qui tiennent plus de la complainte que de la hauteur de vue ? Son talent d'épistolière semble se dissoudre dans la rancune qu'elle éprouve à l'égard de son ancien amant,
Benjamin Constant, et dans la mélancolie d'un exil qui la conduit sur toutes les routes d'Europe quand elle n'est pas dans son château de Coppet. Bien sûr, il y a l'amertume d'avoir été abandonnée par un homme dont le chemin intellectuel se poursuit avec succès alors que sa propre existence se dilue dans des villégiatures qui ne peuvent jamais rivaliser avec l'effervescence d'un salon parisien. Et puis, il y a l'âge, la santé qui se détériore et les soucis d'argent. Ah ! Comment récupérer la somme prêtée à Constant, cet argent si indispensable à l'établissement d'Albertine et qui donne lieu à des suppliques, des remontrances, des admonestations : « Enfin, après que vous m'aviez encore ôté jusqu'à l'idée de ces jours de ma jeunesse dans lesquels, quoique vous en disiez, j'étais digne d'un coeur en retour du mien, je voulais encore conserver un lien avec vous par le service que vous auriez rendu à ma fille. –Le malheur l'a frappée à 18 ans, – on dirait que tout ce qui vous a connu doit souffrir et qu'il y a dans vous quelque chose d'une puissance perverse surnaturelle. – Vous qui achetez des maisons, qui les payez de votre jeu, m'avez-vous dit ? Qui allez tous les soirs au salon des étrangers, qui ne savez pas faire un sacrifice à la fille d'une personne qui vous a donné 80 mille francs, qu'elle lui donnerait aujourd'hui si elle les avait. – Je donnerai tout ce que je pourrai à ma pauvre enfant et le ciel m'est témoin, que menacée l'autre jour par des dangers singuliers, je me consolais de mourir pour augmenter sa dot –. » (Coppet, 12 juin 1815). Il y a tout dans cet extrait de lettre, la confusion entre le sort fait à la mère et celui fait à sa fille, le sentiment d'abandon, la rancoeur et la dénonciation de l'ingratitude ressentie. Au même moment, Germaine de Staël entretient une liaison avec un jeune officier de vingt-sept ans qui a renoncé à sa carrière pour des raisons de santé et qu'elle va épouser secrètement dans quelques mois – Albert de Rocca –, mais son dépit amoureux transparaît pourtant à chaque ligne. Sans doute la blessure d'orgueil est-elle plus vive que celle d'un amour perdu.
Ces lettres n'ont d'intérêt que pour l'éclairage qu'elles apportent sur la personnalité de l'une des plus brillantes femmes de son époque dont la combativité se révèle à chaque instant pour mieux condamner la faiblesse, réelle ou supposée, des hommes.