S'agit-il d'un journal, d'une correspondance amoureuse, des deux réunis ou de tout autre chose comme une série de variations sur le thème de l'amour lointain ?
Sterne est un farceur, Sterne a même critiqué le sentimentalisme dans son Voyage sentimental alors quoi ?
Comment a-t-il pu écrire les deux en parallèle, moquant ici ce qu'il avouait là ?
"Salut, salut! ma chère Eliza! Chaque jour je dérobe un petit quelque chose à mon Voyage sentimental pour obéir à une impulsion plus sentimentale encore: par exemple vous écrire, vous donner une image de ma personne, de
mes désirs, de la sincérité de mon amour, de mes espoirs, de mes alarmes."
À la lecture, je me suis aussi demandé si l'auteur avait lu le
Canzoniere de
Pétrarque, s'il avait voulu s'en inspirer? Il y a cet éloignement de l'aimée, il y a aussi le temps qui passe, l'éloignement qui change de forme, il y a enfin les troubles que nous cause le siècle ! Peut-être, est-ce moi qui divague ? Tous les amoureux lointains écrivent-ils les mêmes fadaises ?
La question reste ouverte, entière : Lisons-nous ici des écrits intimes auxquels nous n'aurions pas dû avoir accès mais que l'aimée destinataire elle n'aura jamais pu lire ou bien sommes-nous face à une parodie en bonne et due forme, un immense pied-nez à la littérature qui se veut romantique sinon dégoulinante de soupirs amoureux?
Et si c'était les deux ? Si la parodie témoignait de sa part d'authenticité, si l'aveu de son chagrin amoureux contenait son propre clin d'oeil ?
C'est pourquoi je reviens à cette idée de journal, d'une tentative de mettre sur papier un sentiment que l'auteur n'éprouve plus depuis bien longtemps, d'en goûter l'évolution et de se préparer du matériel - fût-il ironique - pour son Voyage sentimental.
Eliza (le texte ou la femme aimée) restera pour nous comme pour l'auteur un objet de convoitise inaccessible.