chârulatâ est un très court roman (une grosse centaine de pages) de
Rabindranath Tagore qui, dans sa version française, porte le nom de son héroïne (le titre original est le nid brisé).
Comme dans
Kumudini ou
le naufrage, Tagore décrit ici les relations humaines dans le Bengale de la toute fin du XIXè siècle et, plus particulièrement les relations de couple dans les classes aisées de la société bengalie.
chârulatâ est un roman qui compte à peine une demi douzaine de personnages. chârulatâ est l'épouse de Bhupati, un membre de cette société aisée. Par passion, Bhupati crée et dirige un journal, ce qui l'amène à délaisser sa jeune épouse. Mais, se rendant compte alors de la solitude de chârulatâ, il décide de faire venir chez lui un jeune cousin, Amal, du même âge que chârulatâ.
Amal et chârulatâ, tous eux épris de littérature et de poésie, passent leurs journées ensemble. Amal se met à écrire et lit ses textes à chârulatâ. Au fil du temps, une relation profonde se tisse entre les deux jeunes gens, exacerbée encore chez chârulatâ , pour qui Amal devient très cher, sans que pour autant elle se rende compte de la nature de ses sentiments pour lui.
Mais un jour, trahi par les malversations financières de son associé, Bhupati doit faire cesser la parution de son journal. Quasiment ruiné, il passe désormais ses journées chez lui et se rend compte à quel point la présence de sa femme lui a manqué pendant toutes ces années où il n'était occupé que de la marche de son journal.
Bhupati décide également que le temps est désormais venu qu'Amal se marie. Il lui trouve une jeune épouse dans le voisinage, mais après son mariage, Amal part vivre en Angleterre.
Evidemment, chârulatâ supporte mal le départ d'Amal, d'autant plus qu'ils se sont quittés sur l'une de ces petites chamailleries qui leur étaient familières, sans avoir eu le temps, par orgueil et incompréhension, de se pardonner mutuellement avant le mariage d'Amal et son départ.
Bhupati se rend bien compte de la profonde dépression dans laquelle sombre alors chârulatâ, qui prend alors seulement conscience de la profondeur de ses sentiments pour Amal, son chagrin ne refluant pas avec le temps qui passe, mais s'accroissant au contraire.
Conscient que quelque chose s'est brisé dans son couple et que sa relation qu'il avait avec chârulatâ ne redeviendra jamais celle qu'elle a été, Bhupati décide d'accepter un poste dans un journal, à l'autre bout de l'Inde, et part sans emmener avec lui chârulatâ.
Pendant toute la première partie de ma lecture, j'ai été un peu déçue par ce roman, dans lequel que je ne retrouvais pas l'intensité du Naufrage et encore moins de
Kumudini. J'attribuais ceci à l'immaturité de l'écrivain (chârulatâ est paru en 1901,
le naufrage en 1905 et
Kumudini en 1923) et aux maladresses d'un roman de jeunesse.
La première partie traite uniquement en effet des rapports entre chârulatâ et Amal, et ressemble forts aux rapports entre deux adolescents (qu'ils sont effectivement).
Le roman prend toute sa puissance dans la seconde partie, après le départ d'Amal, où Tagore nous dit seulement à ce moment que le jeune homme a passé douze ans sous le toit de Bhupati et chârulatâ (alors qu'à la lecture de la première partie on a l'impression que l'intrigue se déroule sur une courte année.) Impression renforcée par le sentiment que chârulatâ et Amal ne semble pas évoluer et grandir au fil du temps.
Mais les derniers chapitres sont réellement poignants. Non parce qu'ils décriraient d'une manière romantique le chagrin de chârulatâ après le départ d'Amal, mais parce que, comme dans
Kumudini, ils dépeignent l'effondrement d'un couple, celui de Bhupadi et de chârulatâ, dans lequel, parce qu'aucune des deux parties ne connaît vraiment l'autre, ni le mari ni la femme ne sait comment se comporter envers l'autre, quoi faire pour rendre l'autre heureux, comment répondre à ses attentes.
Bhupati part au Karnataka et
Chârulâta reste au Bengale, parce qu'aucun d'entre eux ne sait dire à l'autre ce qu'il ressent vraiment.
Ce roman de Tagore est également une oeuvre magistrale, dans laquelle il dénonce déjà la tragédie des mariages arrangés, et dont il ne faut pas manquer la découverte si l'on ne l'a pas encore lu.