sois sage ô ma douleur et tiens-toi plus tranquille, parce que c'est la seule manière pour moi de tenir debout, je le sais, la seule manière.
J'aurais continué à vivre comme chaque jour, de façon médiocre et satisfaisante, ne dérogeant jamais à mon précepte favori, sois sage ô ma douleur et tiens-toi plus tranquille, parce que c’est la seule manière pour moi de tenir debout, je le sais, la seule manière.
Certains êtres, à mesure que le temps passe, deviennent de plus en plus libres : ils se redressent au lieu de s'affaisser. Il émane d'eux une énergie étonante. Ils sont lumière pour qui les rencontre. J'aimerais savoir ce qu'ils ont fait des ombres de leur passé. De leurs regrets, de leurs déchirures. Comment ils s'en sont arrangés.
Parce qu'on n'oublie rien, je le sais ce soir. On n'oublie rien. Quand bien même on s'est efforcé du contraire : le passé vit en nous. Masse informe tapie au plus profond de soi, qu'on pourrait croire endormie mais qui veille ... Alors, eux, ces êtres de lumière : comment font-ils ?
«Certains déserts ne se traversent que dans un sens.»
la valeur d'une vie tient aux choix que l'on fait
Je ne peux pas participer à cette joie collective. J'aimerais, mais je ne peux pas. Je ne peux pas dépasser ma petite vie, son calvaire, je ne peux pas aller au-delà, être touchée par ce qui se passe à l'extérieur. Je suis emprisonnée à l'intérieur de moi.
Parce qu'on n'oublie rien, je le sais ce soir. On n'oublie rien. Quand bien même on s'est efforcé du contraire : le passé vit en nous.
J’ouvre le recueil de Verlaine et je commence à lire :
Puisque l’aube grandit, puisque voici l’aurore,
Puisque, après m’avoir fui longtemps, l’espoir veut bien
Revoler devers moi qui l’appelle et l’implore,
Puisque tout ce bonheur veut bien être le mien,
C’en est fait à présent des funestes pensées,
C’en est fait des mauvais rêves, ah ! c’en est fait
Surtout de l’ironie et des lèvres pincées
Et des mots où l’esprit sans âme triomphait ;
Arrière aussi les poings crispés et la colère
A propos des méchants et des sots rencontrés
Arrière la rancune abominable ! arrière
L’oubli qu’on cherche en des breuvages exécrés !
J'ai compris qu'aucun mot désormais ne servirait à rien, la douleur nous avait fait basculer dans deux mondes différents et ce coup sur la table en était le sceau.
Comment peux-tu lire comme si de rien n'était, comme si la vie allait reprendre son cours normal? Comment peux-tu accepter ce qui nous arrive ?