Tu vois, je crois que tu as surestimé mes forces. Peut-être as-tu pensé qu'au cours de ces dernières années, j'avais "fait mon deuil", comme on dit. Parce-que toi, peut-être, tu as remporté ton combat contre la douleur. Mais moi je n'ai pas mené de combat. Je n'ai pas eu ce courage. Je me suis simplement efforcé de vivre avec ma douleur. Je n'ai jamais accepté, jamais.
"soit couchée dans une tombe, soit debout dans la vie..."
Comment a-t-elle trouvé le courage de renoncer à presque tous les livres dont elle s’était entourée depuis des années ?
- Je ne voulais plus m’encombrer de choses inutiles. Ne conserver que l’essentiel, la chair des choses, pour être au plus près de la vie. Ne pas m’alourdir…La vie sans Clara était si pesante…Les livres que j’ai gardés, je les ai lus et relus. Et c’était chaque fois la même joie qui m’emportait, qui m’apaisait. Tu ne peux pas savoir le bonheur que j’ai trouvé dans ces livres.
Comment peut-on être vaniteux au point de penser savoir ce qui est bon pour l’autre et ce qui ne l’est pas ? Au nom de quel désir de possession ?
Même lorsque je lui ai demandé de me laisser en paix, de ne pas me parler de ma douleur qu’il ne connaissait pas et qu’il ne pouvait imaginer, contrairement à ce qu’il m’assurait, car comment peut-on « imaginer » une douleur, même alors, il n’a pu s’empêcher de soupirer et de décréter : « Je ne peux aller contre ta décision, Geneviève. Même si je reste convaincu que s’il y a bien une chose à ne pas faire en ce moment pour toi, c’est de partir t’enterrer à la campagne ».
Pour la première fois depuis la disparition de Clara j’étais en colère, et la colère intensifiait ma peine.
Ce matin, de la fenêtre de ma chambre, j’ai aperçu les premières fleurs du magnolia. J’ai pleuré : ainsi, le printemps allait revenir ? A nouveau l’éblouissement, la chaleur, les odeurs sucrées des fleurs et des fruits ? J’éprouvais une gratitude infinie devant ce monde qui demeurait.
Espoir, non : je n'en garderai pas. Cela me tuerait. Je veux bien fixer une ligne d'horizon, mais que cette ligne ne soit pas un mirage.
le mal vient de nulle part, il peut frapper n'importe qui, pour ça nous sommes tous égaux, aussi fragiles les uns que les autres : un jour on est heureux, le lendemain notre vie vole en éclats.
Avant de faire démarrer le moteur je lève les yeux vers les volets bleus de la maison.
J'ai l'impression de sentir auprès de moi la présence de Genevieve. Sa voix grave et chantante. Je ferme les yeux. Genevieve n'est plus là mais j'ai tenu sa main jusqu'à la fin,lorsqu'elle s'est arrêtée de respirer je lui ai fermé les yeux et j'ai déposé un baiser sur son front. Depuis la peur m'a quitté. Je tiens debout, sans vaciller.
Je pensais que nous ne nous reverrions jamais : ce que nous avions traversé ressemblait à une chute lente et silencieuse, comme dans ces rêves d'enfant qui, des années après, continuent de nous poursuivre. Amarrés l'un à l'autre, nous n'en finissions pas de tomber ; il a fallu que nous nous séparions. Il n'y avait pas d'autre issue possible. Pourquoi romps-tu le pacte tacite que nous avions scellé ?
Je n'ai pas assez la foi pour faire vivre ce qui n'existe plus.