CONTRE-DESTIN
À la hauteur des vents
hisser les poitrails
tout sauvegarder
le rire blanc
et le soleil rouge et natal
ébène ebony blues
chant toujours rage
Il n’y a plus de soleils couchants
Il y a l’herbe vorace
Il y a le feu plus vorace
les peines poilues des bras pauvres
les transes
mimées
quelle agonie
j’aurais pu être sicaire
au service de la reine ngalifourou
je n’ai même pas eu cet alibi…
CONTRE-DESTIN
…
je confesse
j’ai eu des vices
mais ai-je pu
supporter
qu’on batte les enfants
leurs pères et mères
devant les uns les autres
me voici aux limbes de toutes souffrances
bossu
quelle audace m’a ouvert les bras ?
avec les tempes crevées
par des longitudes onéreuses
il ne faut pas l’amour
qui ne gagne à la race
ô mes expédients
et j’ai encore chiné
non laissez-moi aimer sammy
de toutes mes forces
je tourne le dos aux voluptés
laissez-moi vivre pour vous
mais non
pauvre
l’encens le pus on s’étonne
j’ai trimé mes jeunesses
j’ai dû faire le fou
pour mon premier gain
une coqueluche
j’ai paré ma gorge d’éclats de verre multicolores
j’ai souhaité le coup de pied au cul de la chance
mon deuxième gain
une petite vérole du cervelet
et je ne sais plus comment me sauver
j’ai rêvé de revenir ainsi
dans mon village
les yeux derrière des verres fumés
il m’a fallu craindre mon sorcier
j’ai sauté à la mer
avec mes insomnies charnelles
j’ai le sel plein la tête
ce soir armer mon peuple
contre son destin
il le faut pour ne nommer après
d’un chiffre d’or
il a gagné la mort
vive l’amour
Extrait Feu de brousse , 1957
le vol des vampires
Au matin on trouva la brousse brûlée
et le soleil fumé
on mangea comme d'habitude
des courgettes bouillies
puis on alla voir
le mangeur de flammes
pour continuer la digestion difficile
les jours de grandes canicules (…)
la lune ocreuse
se fendilla
avec des cris de femmes en couches
voici une mère accoucha
d'un enfant à deux têtes
elle la mère avait deux seins ronds
que ceignait une racine de cactus
l'enfant avait une seule jambe
les arbres de la brousse brûlée
l'ont prise elle et son enfant
elle grattait le sol
les vents avaient des dents des chiens (…)
Il pleut mon Dieu il pleut toute la ville est
sale
Un manège me monte à la tête sublime
Je me sens centenaire et plaide ce faux
crime
Que je n'ai pas commis j'ai lu la loi pénale
(…)
Extrait : Le mauvais sang, 1955
Tchicaya U TAM'SI – Une Vie, une Œuvre : 1931-1988 (France Culture, 1998)
Émission "Une Vie, une Œuvre", par Catherine Pont-Humbert, diffusée le 22 octobre 1998 sur France Culture. Invités : Tahar Bekri, Jacques Chevrier, Gabriel Garran, Boniface Mongo Mboussa, Patrice Yengo, Jacqueline Sorel, Claude Wautier et Jean Dion.