Le froid, le silence et la solitude sont des états qui se négocieront demain plus cher que l’or. Sur une Terre surpeuplée, surchauffée, bruyante, une cabane forestière est l’eldorado. P 41
La pluie a été inventée pour que l'homme se sente heureux sous un toit.
"Moins on parle et plus on vivra vieux" dit Youri. Je ne sais pourquoi mais je pense soudain à Jean-François Copé. Lui dire qu'il est en danger. (p. 71)
A 8 heures du matin, un ours de trois cents kilos vient rôder sur le talus de sable, au sud de la petite clairière d'Iélochine. Pour appâter les bêtes, Volodia a rempli des bidons avec de la graisse de phoque. Il murmure : "Ah, s'il était cinq cents mètres au nord, hors de la réserve, on pourrait l'abattre." Un grand désespoir s'abat sur moi. Il faudrait nous enlever un petit bout de néocortex à la naissance. pour nous ôter le désir de détruire le monde. L'homme est un enfant capricieux qui croit que la Terre est sa chambre, les bêtes ses jouets, les arbres ses hochets.
Je m'étais promis avant mes quarante ans de vivre en ermite au fond des bois.
Je me suis installé pendant six mois dans une cabane sibérienne sur les rives du lac Baïkal, à la pointe du cap des Cèdres du Nord. Un village à cent vingt kilomètres, pas de voisins, pas de routes d'accès, parfois, une visite. L'hiver, des températures de - 30°C, l'été des ours sur les berges. Bref, le paradis.
J'y ai emporté des livres, des cigares et de la vodka. Le reste - l'espace, le silence et la solitude - était déjà là.
Le danger est de se retrouver trop bien dans sa tanière et d’y végéter en état de semi-hibernation. Ce penchant menace bien des Sibériens qui ne parviennent plus à quitter l’atmosphère de leur cabane. Ils régressent à l’état d’embryon et remplacent le liquide amniotique par la vodka.
Je pense au destin des visons. Naitre dans la forêt, survivre aux hivers, tomber dans un piège et finir sur le dos de rombières dont l'espérance de vie sous les futaies serait de trois minutes.
La vodka est bonne, la neige tombe et Oleg a apporté des concombres. On les coupe en lamelles, et on en croque une à chaque rasade. Oleg n’a pas parlé depuis longtemps.
8 avril
Tempête.
Tout ce qui reste de ma vie ce sont les notes. J'écris un journal intime pour lutter contre l'oubli, offrir un supplétif à la mémoire. Si l'on tient pas le greffe de ses faits et gestes, à quoi bon vivre : les heures coulent, chaque jour s'efface et le néant triomphe . Le journal intime, opération commando menée contre l'absurde.
J'archive les heures qui passent. tenir un journal féconde l'existence. le rendez-vous quotidien devant la page blanche du journal contraint à prêter meilleure attention aux évènements de la journée - à mieux écouter, à penser plus fort, à regarder plus intensément. Il serait désobligeant de n'avoir rien inscrire sur sa page de calepin, le soir.
C'est au cinquième verre de vodka qu'il est difficile de résister au suivant.