Après les Trente Glorieuses, on aurait pu donner aux
deux premières décennies du XXIe siècle le nom de Vingt
Cliqueuses.
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Ces tracés en étoiles et ces lignes piquetées étaient les sentiers ruraux, des pistes pastorales fixées par le cadastre, des accès pour les services forestiers des appuis de lisières, des viae antiques à peine entretenues, parfois privées, souvent laissées à la circulation des bêtes. La carte entière se veinait de ces artères. C'étaient mes chemins noirs.
Ils avaient raison, ces gypaètes, de tracer leurs auréoles comme les vautours des films de Sergio Leone, car notre monde était presque mort. Ils devaient le prendre pour une carcasse de bison.
- Lucien ? On m'a parlé de vous à Ganagobie. Vous vivez en ermite ?
- Oui, depuis des années.
- Qu'est-ce qui vous manque ?
- Rien ! J'ai des livres, on m'apporte un peu de nourriture. En ce moment je lis le récit d'un type qui s'est enfermé dans une cabane au bord du Baïkal, pendant quelques mois.
- Je sais, c'est moi.
Il me montra le panneau fixé près du sentier de montagne qui bordait sa maison : "J'accepte le pain rassis et les livres."
Les nuits dehors, pour peu qu'on les chérisse et les espère, lorsqu'elles couronnent les journées de mouvement, sont à accrocher au tableau des conquêtes. Elles délivrent du couvercle, elles dilatent les rêves.
Et nos vies ordinaires s'exposaient ainsi sur les écrans, se réduisaient en statistiques, se lyophylisaient dans les tuyauteries de la plomberie cybernétique, se nichaient dans des puces électroniques des cartes plastifiées. Naissions-nous pour alimenter les fichiers ?
J'aurai pu recomposer la ritournelle : "le passé m'oblige, le présent me guérit, je me fous de l'avenir".
La crise de Parkinson de l'Histoire portait le nom de mondialisation.
Quand un pays de montagne se modernise, l’homme ruisselle comme une nappe d’eau. Et la vallée, frappée d’Alzheimer, ne se souvient même pas que la montagne a retenti de vie. P 39
Chaque aube est pour l'insomniaque un 6 juin personnel.