Histoire de moi-même

Les hommes sont très pressés de construire un télégraphe magnétique allant du Maine à la Louisiane – mais le Maine et la Louisiane n’ont rien à se communiquer. […]
Les hommes brûlent de percer un tunnel sous l’Atlantique et de rapprocher de quelques semaines l’Ancien Monde du Nouveau – et peut-être que les premières nouvelles qui fuiteront dans la grande oreille battante de l’Amérique seront que la princesse Adélaïde a la coqueluche.

Les livres héroïques, bien qu’imprimés avec les caractères de notre langue maternelle, seront toujours dans une langue morte pour des époques dégénérées, et nous devons chercher laborieusement la signification de chaque mot et chaque vers, en supposant une signification plus vaste que ne le permet l’usage commun au regard de notre sagesse, de notre valeur et de notre générosité.

Le temps n’est pas une rivière dans laquelle je vais pêcher. J’y bois, mais ce faisant, j’en vois le fond sablonneux et réalise qu’elle n’est guère profonde. Son faible courant coule, mais l’éternité demeure. Je voudrais boire plus profondément, pêcher dans le ciel, dont le fond caillouteux est parsemé d’étoiles.

En même temps que nous désirons apprendre et explorer toutes choses, nous exigeons que toutes les choses soient mystérieuses et inexplorables par nous, que la terre et la mer soient infiniment sauvages, que nous n'en ayons pas fait le relevé, et que nous ne les ayons pas sondées. Nous ne pouvons jamais avoir assez de nature. Nous devons être revigorés par le spectacle de son inépuisable vigueur, de ses immenses traits de titan : la côte avec ses épaves, les étendues sauvages avec leurs arbres vivants et putrescents, le nuage d'orage et la pluie qui dure trois semaines et provoque de brutales inondations. Nous avons besoin de voir nos propres limites dépassées, et de la vie paître librement là où nous n'allons jamais.

En fait, l’homme qui travaille ne dispose pas de temps libre pour une intégrité élevée au jour le jour, il ne peut se permettre d’entretenir les relations les plus nobles. Son travail s’en trouverait déprécié sur le marché. Il n’a pas le temps d’être autre chose qu’une machine. Comment celui qui doit si souvent utiliser son savoir peut-il bien se rappeler son ignorance et ce que sa croissance requiert ?