Le jeune été, à peine son avènement est-il célébré que déjà il décroît, non certes visiblement et de façon patente, mais par un grignotement quotidien d’une ou deux minutes. Ainsi l’enfant, au zénith de sa plus belle santé, est-il déjà porteur de tous les germes de la décrépitude. Et à l’inverse, Noël, aux antipodes de l’année, célèbre le joyeux mystère de la renaissance d’Adonis au plus noir et au plus humide de l’hiver.
Il est établi que d'un conseil ministériel, d'un conclave, d'une conférence internationale au sommet se dégage une odeur de charogne qui fait fuir les vautours les plus blasés.
A un niveau plus modeste, un conseil d'administration, un état-major, la réunion d'un corps constitué quelconque sont autant de ramassis crapuleux qu'un homme moyennement honnête ne saurait fréquenter.
Rien n'illustre mieux que cette statue la fonction essentielle de l'art : à nos coeurs rendus malades par le temps ( par l'érosion du temps, par la mort partout à l'oeuvre , par la promesse inéluctable de l'anéantissement de tout ce que nous aimons) l'oeuvre d'art apporte un peu d'éternité. C'est le remède souverain, le havre de paix vers lequel nous soupirons, une goutte d'eau fraîche sur nos lèvres fiévreuses.
Car je ne doute pas qu’une nuit un visiteur sculpté dans de la pierre tombale viendra frapper à ma porte de son poing de marbre, et qu’il prendra la main que je lui tendrai et m’entraînera avec lui dans les ténèbres dont nul ne revient. Mais il n’aura pas les traits d’un père bafoué et assassiné. Il aura mon propre visage.
J'ai toujours été scandalisé de la légèreté des hommes qui s'inquiètent passionnément de ce qui les attend après la mort, et se soucient comme d'une guigne de ce qu'il en était d'eux avant leur naissance.
Je compris que j’obéirais d’autant mieux à mes aspirations alimentaires que j’approcherais davantage l’idéal de la crudité absolue. […] J’ai compris ainsi l’attirance qu’ont toujours exercée sur moi ces étals et ces crochets qui exposent aux regards la farouche et colossale nudité des bêtes écorchées, les blocs de chair rutilante, les foies visqueux et métalliques, les poumons rosâtres et spongieux, l’intimité vermeille que révèlent les cuisses énormes des génisses obscènement écartelées, et surtout cette odeur de graisse froide et de sang caillé qui flotte sur ce carnage.
[…] Par ailleurs, la qualité de mon cœur sera attestée –s’il en était besoin- par un autre goût que j’ai, celui du lait. Ma gustation rendue à sa finesse originelle par la viande non cuite et non épicée, et qui sait découvrir des mondes de nuances sous la fadeur apparente des crudités, a trouvé matière à s’exercer dans le lait qui est devenu assez vite mon unique boisson. Il faut aller loin dans Paris pour trouver une crémerie dont le lait n’ait pas été tué par les pratiques infâmes de pasteurisation et d’homogénéisation ! En vérité, il faudrait aller à la ferme, à la vache, à la source même de ce liquide synonyme de vie, de tendresse, d’enfance, et sur lequel s’acharnent les hygiénistes, puritains, flics et autres pisse-vinaigre ! Moi, je veux un lait sur lequel flottent avec des remugles d’étable un poil et un fétu, signes d’authenticité.
Si on définit l'intelligence comme la faculté d'apprendre des choses nouvelles, de trouver des solutions à des problèmes se présentant pour la première fois, qui donc est plus intelligent que l'enfant ?
« Plus vous voulez vous élever, plus il faut avoir les pieds sur terre.
Chaque arbre vous le dit. »
Il y a cent ans, lorsque l’anesthésie a fait son entrée dans les salles d’opération, certains chirurgiens se sont récriés : « La chirurgie est morte, a dit l’un d’eux. Elle reposait sur l’union dans la souffrance du patient avec le patricien. Avec l’anesthésie, elle est ravalée au niveau de la dissection de cadavre ».
Nous autres amphibies, toujours en porte à faux avec les choses, rompus au provisoire, à l’à-peu-près, nous savons faire face de naissance à toutes les trahisons du milieu.