Les guerres précieuses de
Perrine Tripier
Gallimard
« Nous laissions les journées s'écouler comme un filet de lumière liquide. C'était le temps précieux des heures élastiques, des matinées évanescentes, des après-midi infinies. »
Dans la chambre jaune de sa maison de retraite aseptisée, Isadora se souvient. Elle ouvre une boite, regarde les photos d'avant, repasse ses souvenirs. Elle revisite les saisons dans cette maison qu'elle a passionnément, déraisonnablement aimé.
L'été, temps béni de l'enfance, se caractérisait par l'arrivée joyeuse des cousines et d'Aleksander, c'était le temps des cabanes et des baignades dans l'étang bleu, les courses contre le vent, les verres d'eau qu'ils avaient à peine le temps d'avaler, et les veillées à la lampe dans le grenier, territoire de Klaus, son frère.
Dans son vieil âge, Isadora ressent fortement la nostalgie de cette saison, l'été dans la maison aux façades de bois blanc. Ils étaient là, encore, tous : la fratrie Aberfletch : Louisa, Klaus, Harriet et elle, Isadora.
« Je n'ai jamais pardonné à l'automne les deuils »
L'automne si doux, s'est, un jour, fait cruel, les cousins se sont faits rare, seule la fascinante tante Babel continuait à passer un hiver clément à la maison, elle revenait des bains et prolongeait sa cure en famille. Ses robes, ses fanfreluches, ses histoires d'amours et ses amants éconduits.
Mais après la disparition d'Harriet, la plus jeune, plus rien ne sera pareil dans la maison, Petit Père à son tour tirera sa révérence.
L'hiver de la maturité, Isadora, seule dans sa maison fantasmée, Louisa ne la comprend pas, il faudrait vendre. Isadora ne s'y résout pas. Elle vit dans le souvenir de sa jeune soeur Harriet qu'elle retient dans cette vie par la puissance de sa mémoire. Il y a aussi quelques amants de passage, Oktav, et les armoires pleines de vieilleries aux odeurs d'autrefois.
Le printemps voit un retour de situation, Isadora est devenue vieille, la maison s'est délabrée, elle est presque hostile envers cette hôtesse qui lui a tant donné. La décision ne pouvait venir que d'elle.
Isadora se résout aux adieux.
Combien j'aurais aimé déambuler dans cette maison de famille !
Perrine Tripier est une jeune auteure habile, douée, elle à écrit son roman avec des pinceaux, comme Monet aurait peint un tableau, des impressions, des sensations, une touche de nostalgie, une autre de mélancolie.
On entend le plancher craquer, on sent le vent fouetter les visages, la lumière de l'été, la douceur de l'automne ; puis l'hiver et un nouveau printemps.
Quelle réussite ce roman !