Sur la toundra, c'est jamais bon de trop imaginer. Ca énerve les esprits.
Le prochain coucher de soleil était programmé le 29 juillet, peu après minuit. La nuit durerait alors une vingtaine de minutes. D'ici là, son ombre allait le suivre, du matin au soir, du crépuscule à l'aube, sans une seconde de répit. Kemet ne savait pas ce qu'il préférait. L'absence d'ombre durant la nuit polaire le perturbait. Il ne se sentait pas entier. Mais il allait vivre deux fois plus de jours epié par son double rampant. Il avait beau se savoir rationnel, puisque policier, cette ombre qui l'espionnait sans relâche finissait par l'irriter. Il éclaboussa son ombre et cela lui fit du bien, comme lui fit du bien la caresse légère du soleil.
Et aujourd'hui, tout le monde savait lire, c'était une calamité tous ces gens qui lisaient.
Mardi 27 avril.
Lever du soleil : 3 h 02. Coucher du soleil : 21 h 43.
18 h 41 d’ensoleillement.
Refuge de Skaidi. 7 h 30.
Klemet s’était levé tôt pour préparer les motoneiges, remplir les jerricans d’essence et les bidons d’eau à la station-service du croisement. Skaidi était le nœud d’où partaient les routes vers Hammerfest, au nord-ouest, vers le cap Nord au nord-est et Alta au sud-ouest. Une cabane en bois de la police leur servait de quartier général lors de leurs missions de printemps.
Le temps se couvrait mais la luminosité demeurait forte. Le thermomètre cloué près de la porte affichait à peine plus de deux degrés. Il faudrait encore plusieurs semaines pour que l’herbe trouve la force de se redresser et l’envie de verdir. Klemet languissait de cette période magique où la nature reprenait d’un coup ses droits. Dans ces moments-là, il regrettait de ne pas avoir le talent de son oncle Nils-Ante pour célébrer d’un joïk ou même de mots simples la victoire de la nature sur la dureté du climat.
[...] Il avait l’air de penser qu’on pouvait changer les habitudes des troupeaux par la simple volonté. Sans savoir qu’un troupeau revenait toujours sur le même pâturage de printemps car c’était là et nulle part ailleurs que les femelles mettraient bas, comme les saumons revenaient à leur rivière natale pour frayer. Il fallait des années, quatre ans peut-être, pour qu’un troupeau se réhabitue à de nouvelles terres.
[...] Il était plus dur pour l’homme d’aller à trois cents mètres sous l’eau et d’en revenir que de faire un aller-retour sur la Lune.
[...] Les multinationales, ça ne leur faisait rien de fermer des usines, on disait que ça faisait partie du business. Mais un conflit avec un peuple autochtone, ça vous fichait tout de suite une sacrée mauvaise publicité. Alors les grosses boîtes essayaient d’éviter.
Mais on connaît toujours un peu tout le monde dans les villages. Et si on ne connaît pas, on complète soi-même leur histoire, ça occupe les longues soirées d'hiver...
Dans un moment pareil, Klemet n'aurait pas manqué de la [Nina] ramener sur terre. Elle l'entendait presque lui dire : quels liens, quelles preuves, comment relies-tu untel à untel, techniquement ? Elle l'entendait encore lui répéter : oublie le motif, concentre-toi sur les éléments concrets de preuve dont tu disposes et remonte le fil. (p.202)
Vous êtes Norvégienne non, alors faites-moi plaisir, n'oubliez jamais comment votre pays s'est enrichi. En risquant délibérément la vie de plongeurs hier et en bafouant les droits de vos Sami aujourd'hui.(p. 398)