« Je n'ai pas fait un autoportrait, j'ai photographié mon ombre. »
Maryna, d'emblée, fait mouche avec cette expression en préface de son livre. En psychologie analytique, l'ombre est une partie de la psyché formée de la part individuelle qui ne se connaît pas elle-même et dont l'existence même est souvent ignorée. C'est l'un des principaux archétypes décrits par Jung dans le cadre de la psychologie analytique mais aussi en langage commun : zone sombre résultant de l'interception de la lumière ou de l'absence de lumière, silhouette sombre plus ou moins déformée que projette sur une surface un corps qui intercepte la lumière.
J'avais pris beaucoup de plaisir à la lecture de «
Vous aimez les poètes, ne les nourrissez pas ! ». J'y avais apprécié une certaine proximité avec Maryna et aussi, sa façon bien à elle de jouer avec les mots, ce style qui la caractérise et dans lequel, elle excelle et cette précieuse poésie qui se dégage de ses textes. Elle lance un mot, un peu comme une balle, et elle observe le dénouement pour mieux en savourer le final ! Je gardais dans ma bibliothèque virtuelle «
le voyage impaisible de Pauline ». Connaissant les origines de Maryna, le néologisme du titre semblait exprimer, à lui seul, tous les aléas du déracinement. C'était une part d'elle-même qu'elle transposait dans ce livre, qu'elle était la part de Maryna dans Pauline ou de Pauline dans Maryna ? Devant ce questionnement, je souhaitais me plonger dans ce voyage impaisible. Muée par je ne sais quel pressentiment, Maryna a eu la gentillesse de m'adresser sa « Pauline ». Je l'en remercie vivement pour tant de bienveillance.
Pavlina est née à Kharkiv, deuxième ville d'Ukraine et ancienne capitale de la République Socialiste Soviétique d'Ukraine. C'est une très jolie jeune fille dotée de l'indéfinissable charme slave. Passionnée de danse, portée par des rêves d'un ailleurs, la France notamment, et de réussite, elle quitte Kharkiv pour Paris dans l'espoir d'être reçue au concours d'entrée du Conservatoire de cette ville. Elle est recalée et devant cet échec, totalement désemparée, au détour d'une promenade solitaire, elle rencontre Tom, intermittent du spectacle. Entre eux, c'est le coup de foudre, Si le rêve de Pauline s'écroule, l'Amour entre par la grande porte. Et c'est en la compagnie de Tom et de Pauline que le lecteur chemine dans cette vie de bohème, tentant de vivre voire de survivre dans ces jours sans pain où l'insouciance permet de supporter la sempiternelle course aux cachets et des lendemains qui déchantent. Mais ils s'aiment et l'avenir leur appartient malgré les obstacles administratifs auxquels ils doivent faire face pour leur mariage entre autres.
Ce récit permet de découvrir le milieu d'une troupe d'artistes avec, là aussi, ses difficultés à faire cohabiter les différentes personnalités, les jalousies, les relations complexes qui aboutissent parfois à des conflits malgré l'investissement artistique des uns et des autres et leur passion commune. Mais le désir de vivre de leur vocation créatrice est plus fort que tout. C'est un moteur à nul autre pareil, une énergie qui permet de surmonter les montagnes russes auxquelles parfois leur quotidien peut ressembler. Mais la Vie nous envoie, parfois, certaines épreuves à surmonter dont le sens nous échappe. Il faut s'accrocher à Elle pour ne pas sombrer.
La famille de Pauline permet aussi de découvrir la vie en Ukraine, bien avant cette guerre dévastatrice. Anna et Anatoli sont des parents attentifs qui espèrent une vie meilleure pour Pauline loin de ce pays instable, au quotidien difficile, au niveau de vie très insatisfaisant, suscitant des rêves d'un ailleurs. Ils sont prêts à tous les sacrifices pourvu que leur fille puisse réaliser ses aspirations.
J'ai été très sensible à ce récit en subodorant les éventuelles difficultés auxquelles Maryna avait été confrontée. Malgré une écriture à distance, plutôt neutre dans le désir de rester pudique, de ne pas s'appesantir sur les épreuves de Pauline, je découvrais l'histoire en pointillé de l'auteure bien que je ne sois pas à même de faire la différence entre la fiction et l'expérience. C'est toujours troublant de s'immiscer et d'appréhender l'ombre d'une auteure.
Si au début du récit l'écriture se fait modeste, dans le sens d'inexpérimentée, au fur et à mesure de la lecture, l'écriture se fait plus maîtrisée, plus sagace, comme si les épreuves de la narration apportaient plus de maturité à la plume de l'auteure. C'est l'un des intérêts de ce voyage impaisble de Pauline, observer le changement qui s'est opéré entre ces deux livres, apprécier la mue de l'auteure et se dire qu'elle s'est trouvée dans «
Vous aimez les poètes, ne les nourrissez pas ».
J'ai retenu cette phrase qui augurait de la future Maryna :
« Tom avoua : - Pour moi la création, s'est jeter tout dans l'eau, dans le désordre, puis observer comment les courants internes tirent les pensées, les déplacent et les regroupent naturellement ; je ne connais que ce processus-là. A l'intérieur, il y a quelques idées qui ont la force attractive des aimants, c'est tout. »