Le voyage impaisible de Pauline –
Maryna Uzun****
l'été indien du mois d'octobre 2022
Et juste après le titre, comme une précision ou peut-être une confession ou tout simplement une complicité avec le lecteur et les personnages : « je n'ai pas fait un autoportrait, j'ai photographié mon ombre », il n'y a pas d'identification mais pas loin, c'est une question de lumière.
Rencontre avec la France, les premiers pas d'une ballerine aux pas hésitants d'une "poupée mécanique" p.17 dont les bises étaient trop « vraies » et les « lèvres trop engageantes» p.15
La France et son image rêvée, inventée en volumes traits couleurs et quelques sens dont l'histoire se moquait éperdument, mais pas l'histoire de Pauline qui ne jugeait pas les gens « sur les habits » p.18
Elle quitte Kharkov, sa ville en Ukraine pour tenter sa chance dans une école de ballet à Paris. Quitter un lieu connu pour se retrouver ailleurs dans une terre imaginée où la réalité se présente tout d'un coup différente, il faut s'exprimer, communiquer, se faire comprendre et bien comprendre et attraper le bon verbe qui souvent trouve l'excellent prétexte pour se dérober, et que faire des émotions qui arrivent en vrac sans faire la queue sans demander la permission et toutes ces grosses larmes qu'elles traînent sans pouvoir s'en débarrasser… les pendules se mettent à zéro où tout recommence ailleurs, autrement, à vingt ans !
Rencontres multiples et variées, avec Tom et l'amour, avec une autre culture, d'autres habitudes, des rythmes nouveaux, des nouveaux pas à apprendre, le bal des débutantes, la nouvelle vie est accueillante, mariage avec un français, tout est en accéléré, aux pas de conquérante, et le retour temporaire en Ukraine se fait en héroïne.
Deux terres, mille comparaisons,« Regardez, dans mon pays, quand le soleil apparaît, alors qu'il pleut encore, on dit que c'est le diable qui se marie ! » p.50, appartenance, quelques liens s'estompent ou se perdent, d'autres se créent.
L'écriture a la fraîcheur de la découverte, de l'envol, des hésitations, les premiers pas d'un apprenti dans le grand chantier de la vie ou chaque surprise fait naître une émotion qui empourpre la peau et fait battre la poitrine, une nouvelle respiration un point d'arrêt, quelques répétitions dans une cadence de souffle court, début et incertitude de l'adolescence aux ailes encore fragiles, belles dans leur fougue, innocence, espoir et enthousiasme qui accélèrent le pouls, donnent au corps légèreté, souplesse et une nouvelle fragilité.
L'interdit de manger la bouche ouverte est rejeté, il n'y a rien à cacher, c'est une manière de se « délecter », « un appétit communicatif » p.124
Le trait de reconnaissance, comme un mot de passe, pour entrer chez Maryna, je l'ai trouvé dans quatre lettres et un petit accent, ailé, léger et concentré d'enthousiasme et de poésie, d'envols, jongleries taquines, quelques larmes du trop plein où un rayon de soleil trouve son éclat, quelques bleus aussi, blues au pluriel, des silences, arrêts sur images, le visage nous tournant le dos pour cacher sans succès une forte émotion et pour nous accueillir à nouveau avec ses fils sorciers en soie, coton, raphia qui glissent entre les doigts ou s'y accrochent.
Tentatives d'analyse des nouvelles transformations qui font grandir, du nouveau qui ne se laisse pas facilement définir. Les répétitions des mots et des phrases arrivent souvent comme pour établir une faible certitude et se donner du courage, un livre ouvert sans blancs aux lettres cachées, ni sens à peine dévoilés. Les mots amis se laissent tenter par une ronde de rythmes, de pas, de sens, de pleurs et de joies.
La poésie est présente, comme une bonne fée, ou un lutin malicieux, un Ariel, esprit aérien, fougueux, enchanteur qui prend « goût à trouver des rimes » et à découvrir « le sens figuré » p.65, à « s'émerveiller devant les choses simples. La vie... »p.69, des révélations à chaque instant.
« elle poussa un long cri, une prouesse de respiration ! » p.75 « les lignes de haute tension, ces araignées géantes, reliées entre elles, squelettes de la civilisation. Mais avec une brochette de moineaux, les fils électriques paraissaient moins affreux. »p.75
Une transformation est rarement paisible, c'est comme un voyage qu'on n'a pas préparé d'avance, à chaque tournant une épreuve, un sphinx et sa devinette, une révélation, plusieurs désillusions, déchirures, émotions en dents de scie animent le livre, des envols enthousiastes et passionnés aux chutes amères et profondes, carrefours, tentations, épreuves « La vie lui semblait un bourgeonnement mystérieux de possibilités latentes. La fragilité de l'adolescent et celle de Pauline, s'attirant l'une vers l'autre, donnaient à la jeune femme des forces inespérées : les forces de survie. »p.190
Une tranche d'une vie, comme « un manège bigarré » p.212 d'expériences, d'expressions, de sens, de sensations, de haut en bas et de bas en haut.
Le voyage de Pauline est une création avec son duo « l'agonie et la résurrection » p.114, Pauline-Maryna, personnage à la première personne qui se raconte à la troisième, photographie d'une ombre, transformation « en quelqu'un d'autre » p.113, histoire vécue et imaginée du je, un autre qui parle en chacun de nous.
J'ai accompagné Pauline dans son voyage impaisible et me suis retrouvée souvent dans ses pas, impressions étranges lointaines surgies l'espace d'un roman d'une poésie et d'une reconnaissance et à la fin, à la dernière page le miroir m'invita à poursuivre ce voyage et à m'accrocher en saltimbanque nomade à deux aiguilles qui tricotent sur le cadran d'une pendule amie.
La poésie habite Maryna et fait de chaque chose anodine une émotion une pointe d'humour, une comparaison incongrue un souvenir qui, sorti de son tiroir, se sent transfiguré dans son habit de fête, se délasse dans la chaleur des émotions à l'abri du froid des ennuis et la langue grisée « buvera »p.122 encore du champagne !