Pierre, la quarantaine soucieuse, décide pour une fois de réaliser un de ses fantasmes et de louer les services de Guillaume, prostitué presque trentenaire, le temps d'une semaine. Une semaine à l'épier et le voir obéir à ses moindres désirs. Oui mais voilà, Pierre est un homme inquiet, timide, réservé et refoulé et cependant convaincu du chemin que va prendre son entreprise. Un chemin qui bien sûr ne s'attendait pas à être foulé par un Guillaume patient, charmeur et surtout très observateur, un jeune homme au fait de sa séduction qui perturbe dès le premier instant les savants calculs d'un Pierre reclus dans sa chambre d'hôtel. Un jeu de dupe qui se déroule à huis clos, à quinze mètres d'intervalle, et qui insuffle chapitre après chapitre une intensité et une profondeur qui m'ont énormément touché.
Sans aller jusqu'à dire que ce roman m'a bouleversé, je mentirais en niant l'impact puissant qu'il porte en lui. L'auteur, habitué à des sujets plus "légers", livre ici une partition duelle très émotionnelle sur une relation au départ un peu trouble (dans son concept) qui va lentement s'affiner en quelque chose de très fin et de très subtil. Un jeu de rôles ou l'on se cache de tous et surtout de soi même, une intimité qui se crée au delà des échanges sociaux habituels et voila d'un coup un dialogue douloureux et pénétrant qui s'instaure malgré les prévisions incertaines de Pierre.
Voila donc deux hommes mis à nu chacun à leur façon par l'autre, obligés de faire tomber les faux semblants que tout tendait pourtant à créer et de se mettre à jour d'une histoire personnelle clivante pour l'un et handicapante pour l'autre. L'enfermement volontaire de Guillaume dans cet appartement est en reflet direct avec celui plus lourd de son propriétaire et le signe moins évident d'une nouvelle liberté de faire le point pour lui sur sa vie et ses choix. de l'autre coté, pourtant libre de ses mouvements, Pierre souffre, étouffe et lutte contre tout ce que le jeune homme met à nouveau en lumière dans son mode de vie. Je dois dire que j'ai été bluffée par le brio de l'auteur à évoquer toute une vie sous le poids du regret, du souvenir et des chaînes mentales que l'on s'attache avec tant de détermination sans même en être réellement conscient.
La douleur et les peurs de Pierre sont palpables, réelles et lancinantes comme les traces des doigts écorchés d'un prisonnier sur les murs de sa geôle. On espère avec lui, on fuit avec lui et on se surprend à presque ressentir les effets de ses angoisses les plus sombres.
J'aime toujours autant la façon qu'a l'auteur de donner vie à des personnages aussi réels que romanesques, de leur dédier une personnalité suffisamment détaillée ou parfois un peu éthérée pour que j'y adhère complètement. Il sait pratiquement à chaque fois me séduire et Pierre et Guillaume sont une nouvelle fois un pari réussi. du calme et voluptueux jeune prostitué, qui représente tous les charmes de la langueur et d'un certain art de vivre, aux peurs aussi naturelles, irraisonnées ou cruelles de Pierre, pourtant symbole d'une réussite sociale aboutie. J'ai une attirance particulière pour ces personnages englués dans leurs angoisses et j'apprécie d'autant plus quand leurs créateurs parviennent avec sensibilité à leur donner corps et âme sans les plonger dans un misérabilisme dénué de réalisme.
L'écriture toujours dynamique et fraîche de
Lorys V n'enlève rien au poids de son intrigue et de son personnage et lui confère au contraire cette lueur positive qui nous éloigne d'un huis-clos trop sombre. Il sait, comme toujours, dessiner les pourtours crus et poétiques d'une relation toute masculine et mener ses deux hommes au bout de leur histoire dans un rythme sans failles. Il m'a rendu voyeuse et amoureuse de ces deux hommes, de cette histoire et de ce duo que j'ai lu se bâtir entre non dits arrachés et démons exorcisés. le tout est captivant (en tout cas je l'ai lu d'une traite et j'ai vraiment regretté la dernière page), d'une grande sincérité et même la fin épilogue est un pur régal à mes yeux.
Quelques mois plus tôt, quand je découvrais cet auteur, et son alter égo
Pa Farouche, je sentais les prémisses d'un auteur en devenir et ce roman me prouve qu'il est désormais parti pour se faire une place bien à part dans le monde du MM français.
L'homme objet est une bulle dans laquelle se laisser fondre pendant quelques heures sans hésiter (avec ou sans lait d'amande !). Yop
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