Su je vous avais dit qu'elle a ce handicap, vous l'auriez traitée comme telle et vous seriez passés l'un à côté de l'autre, parce qu'elle n'a pas changé, Thomas: elle n'est pas résumable à ce fauteuil. [...] La seule chose qu'il lui reste à trouver, c'est l'amour d'un homme.
Je ne sais pas ce que j'espère. Un électrochoc ou une confirmation...Une lueur de bonheur dans ses yeux. Que peut-on appeler "guérison", dans son cas?Le retour brutal à une réalité sans espoir? Ou l'accompagnement de son rêve?
Le vrai drame, la vraie injustice, c'est de survivre tout seul quand on se sens inutile. Ou de mourir pour rien en croyant qu'on va sauver quelqu'un.
Elle se retourne, radieuse, et se met à soupirer au même rythme que moi. Ses yeux ne me quittent pas, restent graves, attentionnés, avec de loin en loin un plissement des paupières pour saluer ma prestation. Une ombre de sourire, et elle renverse la tête en arrière sur le cri qu'elle étouffe. Non seulement la complicité à tué le ridicule, mais cette fille qui feint l'amour dans un fauteuil réveille en moi tout un monde oublié, une vie de confiance et de secrets partagés, d'intimité joyeuse, comme si elle était l'amie d'enfance que je n'ai jamais eue qu'en rêve.
On s'aimera tant qu'on s'aimera; avec cette délicieuse sensation du provisoire qui s'installe dans la durée sans qu'on en ait conscience.
J'adore la plume de cet auteur quand il arrive en quelque mots à nous prouver que handicap peut être assimilé à liberté.
J'effleure les troncs, écarte doucement les feuilles pour dégager les nouvelles pousses, les promesses de fleurs. Mes orphelines, comme je les appelle, sont magnifiques depuis que je les arrose, que je leur parle et que je les caresse. Cette mini forêt tropicale sous les combles de la rue Mouffetard est sans doute ma seule victoire sur terre. Je n'ai rien créé, rien voulu : je me contente d'entretenir, d'accompagner, sans y être obligé, et c'est le rôle qui me convient le mieux. Les plantes ne m'appartiennent pas et c'est pourquoi je veille sur elles, et c'est pourquoi peut-être, aussi, elles survivent. Pour me faire plaisir, pour me remercier. Parce que je les aime sans raison, sans droit ni titre, sans rien attendre en retour.
Le suicide n'est pas qu'une défaite, un constat d'échec; c'est une reconquête de soi, quand on a perdu le reste.
Le vrai drame, la vraie injustice, c'est de survivre tout seul quand on se sent inutile. Ou de mourir pour rien en croyant qu'on va sauver quelqu'un.
Désormais, j'ai l'impression que c'est elle qui met en scène la comédie que sa mère m'a demandé de jouer pour elle. Mais repères s'embrouillent et, à ma grande surprise, moi qui suis un homme d'habitudes, de rigueur inutile et de bonheurs perdus, j'éprouve un plaisir très vif à ne plus savoir qui est qui ni où je vais.