Goat Mountain

Caïn hésita-t-il ? Dans le champ avec son frère, vêtus des peaux de mouton qu’avait tannées Abel, et Caïn un simple cultivateur, sa récolte jugée moindre par dieu. La rage tandis qu’ils marchent dans les sillons qu’il a semés, et il porte une pierre, et sans y accorder la moindre réflexion, il se place derrière Abel et écrase cette pierre sur le crâne de son frère. Cette partie est facile.

Mais Abel est encore vivant. Un coup n’a pas suffi. La bouche d’Abel ouverte sous l’effet de la douleur, les yeux fermés, le sang dans ses cheveux à l’endroit où la pierre a fendu l’os et déchiqueté la chair. Il est étendu sur le flanc dans la terre meuble, les mains et les pieds engourdis mais il empoigne pourtant la terre, il essaye de ramper, de s’éloigner, mu par le plus vieux des instincts. Et Caïn debout là, la pierre à la main.

Tout ce qui est terrible est beau. Et les moments où nous le percevons sont toujours trop brefs.

L'enfer, c'est le temps qui refuse de passer, son immensité qui attend encore de passer.

Toute pensée disparue, remplacée par le monde. L'immédiateté et l'immensité de ce monde, et faire partie intégrante de lui, enfin, ne plus en être éloigné. La malédiction de l'humanité, c'est d'avoir perdu le monde, la pensée est la perte de l'immersion.

Qui est en mesure de définir les règles qu'il suit, et pourquoi ? Dans ce que nous considérons comme inviolable, quelle quantité n'est qu'aléatoire, sans aucun fondement ?

(...) et cela ne peut être que beau, les moments qui précèdent l'anéantissement ne peuvent être que les meilleurs moments, en suspens.

Ce qui me retenait de tomber, croyais-je, c'était ma propre volonté, recréée à chaque instant.

Chaque chose mène à une autre, et il y a une raison à cela. Ce que je veux retrouver, cependant, c'est cet instant dans lequel n'existait ni bien ni mal, rien que l'attraction terrestre, un instant dans lequel il n'y avait pas de cause, mais seulement chaque moment, distinct et entier. Car c'était la vérité.

Une image mouvante, moment après moment, mais nous ne pouvions jamais voir comment ni pourquoi. J'ai essayé de me souvenir de ce que j'ai vu ce jour-là, j'ai essayé de m'en souvenir de nombreuses fois, mais la mémoire insiste sur la cause et la signification, sur l'histoire.

Le monde moderne, tout entier, une aberration. On m'avait donné une télé au lieu d'un cheval, terrible supercherie.