Dénutri, le corps éprouve de moins en moins la sensation de faim. A l'intérieur, les muscles ne font plus leur boulot. Le cerveau n'est plus alimenté.
En hôpital psychiatrique, les anorexiques sont enfermées entre 4 murs blancs sur un lit et une chaise pour seule compagnie. Les distractions font l'objet d'un contrat : pour 2 kilos, un livre, pour 3 kilos, un bloc de papier et un stylo. Les visites sont autorisées en fonction de la prise de poids.
Elle a l’air d’un trombone démantibulé, d’un cintre de pressing, d’une antenne télé après une tempête.
Et puis le froid est entré en elle, inimaginable. Ce froid qui lui disait qu’elle était arrivée au bout et qu’il fallait choisir entre vivre ou mourir.
Cela s'était fait progressivement. Pour en arriver là. Sans qu'elle s'en rende vraiment compte. Sans qu'elle puisse aller contre. Elle se souvient du regard des gens, de la peur dans leurs yeux.
Trente-cinq degrés de température, huit de tension, aménorrhée, dérèglement du système pileux, escarres, ralentissement du pouls et de la pression sanguine, nous avons là tous les signes de la dénutrition.
Debout au pied du lit, il n’est pas peu fier. Regardez bien, mesdames et messieurs au douzième étage de cet hôpital bientôt célèbre, s’est échoué hier soir un squelette de trente-six kilos pour une mètre soixante-quinze. A ce jour son plus beau rapport poids / taille. Face à lui en rang serré, dans leur blouse immaculée, ils se poussent du coude et jettent des yeux incrédules à la fiche accrochée au pied du lit. On s’étonne que la patiente ne soit pas arrivée dans le coma. Tout à l’heure on posera la sonde entérale. Le mot claque dans l’oreille et se prolonge comme une sirène d’ambulance.
C'était il y a longtemps. Il lui a sauvé la vie. Quand on les écrit, ces mots paraissent boursouflés, mais cet ainsi. Encore aujourd'hui, malgré ces années passées et ce goût de vivre q'elle a retrouvé, elle dit ça quand elle en parle: il m'a sauvé la vie.