AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,52

sur 28 notes
5
4 avis
4
5 avis
3
2 avis
2
2 avis
1
0 avis

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Cette brume insensée est l'avant-dernier opus d'Enrique Vila-Matas, paru en 2019 en langue originale, il est traduit dès 2020 en français.

Le narrateur, Simon Schneider, est un personnage de grande culture, mais qui semble un raté total, selon les normes en vigueur. Il survit tant bien que mal dans une masure sur le point de s'écrouler, de travaux littéraires. Il officie par exemple comme « traducteur préalable », celui qui défriche les difficultés des traductions pour ceux qui vont mettre leur nom sur la couverture. Mais sa principale passion et source de revenus, sont les citations. Il les collectionne de manière compulsive, et se fait payer pour en offrir un choix à son frère, Rainer, devenu Bros. Ce dernier, après quelques écrits ratés en Espagne, a émigré aux USA où il a commis quelques romans devenus cultes, et qui ont donné lieu à des tirages importants, en faisant une star de leur auteur. A l'instar de Pynchon et Salinger, il se cache, et personne n'arrive à le rencontrer. Suite au décès de leur père, Bros convoque Simon à un rendez-vous à Barcelone, en plein referendum pour l'indépendance de la Catalogne.

C'est un livre fascinant, amusant par moments, angoissant parfois, et qui l'air de rien posent un certain nombre de questions sur la littérature, et notre rapport au monde. le monde de Simon, construit sur la littérature, semble s'effilocher, se dissoudre, les gens disparaissent, sa maison est prête à s'écrouler. Cela paraît en opposition avec le monde de succès de Bros, riche et célèbre, vivant au centre, à New York. Mais le monde de Bros ne paraît pas plus solide : personne n'a de contacts ni de certitudes sur ce qu'il est, la qualité réelle de ses ouvrages questionne. D'autant plus qu'il se présente comme Pynchon, enfin un des Pynchon, groupe d'auteurs qui écrivent à tour de rôle des livres sous ce nom. Simon laisse entendre que ce sont les citations et suggestions qu'il fait à son frère qui sont le matériel essentiel des ouvrages de Bros, qui en eux-mêmes sont en réalité assez creux ; ce sont les interprétations qu'on en fait qui construisent le sens pas forcément intrinsèquement présent. Entre des livres morts, dans lesquels Simon va chercher des extraits, et les livres de Bros qui se construisent à partir de ces extraits, et qui d'une certaines manières ne sont pas vivants, puisqu'ils sont bâtis sur des dépouilles, sans véritables transmutation, résurrection, la littérature ne semble plus pouvoir exister. Simon et Bros, opposés, mais tous les deux dans une sorte d'impasse, comme les deux faces d'une même pièce, semblent incapables de donner un nouvel élan au monde, aux mots.

Le paradoxe de ce roman, au combien brillant, est de nous donner à lire une fiction très prenante sur la thématique de la disparition, de l'impossibilité de la fiction. Vila-Matas n'est certes pas le premier à le faire, mais son livre est vraiment très réussi, et malgré son propos il nous laisse sur la sensation que la littérature a encore de beaux jours devant elle.
Commenter  J’apprécie          342
« Il avait besoin, dit-il, d'écrire un livre de non-fiction avec le cap de Creus et Barcelone comme décor qui représenterait un changement dans son oeuvre. Ou ne savais-je pas par hasard que la non-fiction rendait obsolètes les modèles traditionnels de la création ?
Non, je ne le savais pas, lui répondis-je, je n'en avais pas la moindre idée mais elle me semblait idiote parce que, pour moi, vivre, c'était construire des fictions. Il y avait en plus de multiples raisons de poids pour affirmer que n'importe quelle version narrative d'une histoire réelle est toujours une forme de fiction. À partir du moment où l'on ordonne le monde avec des mots, sa nature se modifie… »

Simon Schneider vivote près de Cadaqués, en Catalogne, dans la maison familiale délabrée du Cap de Creus qu'il n'a pas quitté à la mort de ses parents. Il vit en reclus la plupart du temps, à proximité de ses monumentales archives de citations. Oui, il vit, chichement il est vrai, de ce commerce. Il y a rajouté une compétence de « traducteur préalable » (invention de Vila-Matas ?) qui consiste à préparer le travail du traducteur qui signera finalement l'ouvrage. Mais il n'est pas submergé de commandes…

Sa seule source de revenus, c'est un écrivain américain qui le rémunère au long cours pour lui fournir des citations. Il a pour pseudonyme Grand Bros, mais son véritable nom est Rainer Schneider Reus. C'est une sorte d'auteur à la Pynchon, avec une foule d'adeptes et une volonté absolue d'échapper à ce statut par un strict isolement. C'est également et surtout son frère, qui a quitté la région de Barcelone vingt ans plus tôt. Les deux frères ne se sont jamais revus, l'auteur ne contactant son fournisseur que par de brefs messages elliptiques et ironiques.

Alors que la Catalogne est en ébullition, à cause de la tentative de 2017 de déclarer son indépendance, Simon devra sortir de son cocon pour rencontrer Rainer à Barcelone. L'auteur s'est en effet décidé à revenir sur les lieux de son passé. Mais quelles sont au juste ses intentions ?

Ce roman, aux multiples inventions, est centré sur les problématiques de l'écriture, de l'intertextualité. Il donne beaucoup à penser mais sans l'aridité qui caractérise souvent les essais sur ce sujet. La grande intelligence et la verve pétillante de Vila-Matas, trouvent ici une expression quasi-idéale. Dans une bibliographie qui, pour ce que j'en ai lu, ne comporte pas la moindre fausse note, je place cette Brume Insensée tout en haut. A peine terminé, j'ai envie de le relire !
Commenter  J’apprécie          234
Ma libraire m'avait annoncé : "Le dernier Vila-Matas n'est pas son meilleur, mais il faut le lire pour la dernière phrase".

Et bien, je ne partage pas cet avis. C'est un opus bien représentatif de ce que nous offre cet auteur depuis tant d'années, même si "Le Docteur Pasavento" et ensuite "Dublinesca" restent, à mes yeux, ses chefs d'oeuvre.

Avec cette douceur et cette langueur teintées d'humour pour dépeindre le mal être de son héros, qui n'en est forcément pas un, mais plutôt le contraire et qui n'est sauvé que par la littérature, en se plongeant dans l'imaginaire d'autrui et en retenant leurs trouvailles pour continuer d'avancer sur le drôle de chemin que souvent nous offre la vie.

Le tout replacé dans le contexte politique de la Catalogne d'aujourd'hui. C'est bien la première fois que Vila-Matas nous laisse entendre ce qu'il en pense, me semble-t-il.

Et la dernière phrase ? Et bien lisez le livre et, à votre tour, vous me direz !
Commenter  J’apprécie          204
Simon Schneider exerce le métier d'écrivain de l'ombre. Son seul client est Rainer, alias Grand Bros, frère tyrannique disparu dans l'anonymat new-yorkais pour y organiser stratégiquement le succès de ses romans. À la suite du décès de leur père, l'auteur culte fixe rendez-vous à Simon pour discuter héritage... Une non-fiction qui parle des affres de la création mais également de ceux qui oeuvrent dans les coulisses pour donner à livre des ouvrages à succès.
Commenter  J’apprécie          10


Lecteurs (108) Voir plus



Quiz Voir plus

Littérature espagnole au cinéma

Qui est le fameux Capitan Alatriste d'Arturo Pérez-Reverte, dans un film d'Agustín Díaz Yanes sorti en 2006?

Vincent Perez
Olivier Martinez
Viggo Mortensen

10 questions
95 lecteurs ont répondu
Thèmes : cinema , espagne , littérature espagnoleCréer un quiz sur ce livre

{* *}