J'ai lu ce livre dans sa version espagnole originale, dont le titre est « nosotros » (nous).
Irène pourrait être la version contemporaine de Don Juan.
S'agissant d'un héros du XXIème il ne peut être évidemment qu'un héros féminin.
Et aussi qu'un héros sans transcendance, parce que Dieu et Diable sont bien morts et ne peuvent donc plus être défiés.
L'individu du XXI ème siècle est l'alpha et l'oméga de son temps. Tout part de lui et ne ramène qu'à lui. Il n'y a rien avant lui, ni rien après ; il n'y à rien en dessous de lui, ni au-dessus.
L'Homme (avec un h majuscule et quel que soit son genre) n'acquiert sa véritable dimension qu'en conquérant celle de ses adversaires. Quand il défie Dieu il devient divin, quand il ne s'oppose qu'à ses contemporains (ceux d'
Irène sont souvent définis comme « abominables » dans le roman espagnol) il se met exactement à leur niveau.
Irène n'échappe pas à la règle et apparaît souvent comme un Don Juan de pacotille.
Exactement à l'opposé de ce qu'elle prétend, elle qui n'aime que les meubles en beau bois massif, les montres en métaux précieux, les voitures de luxe et les vins fins.
Et l'écriture de Vilas ne parvient jamais (sauf peut-être à la toute fin du roman) à lui donner une consistance réelle.
Dans la 1ère moitié du roman une débauche de luxe, d'amour sirupeux et d'aventures érotiques finiraient par nous lasser si un premier indice n'était pas enfin lâché à la 180ème page :
Irène adolescente a eu un amant qu'elle prétend avoir tué en état de légitime défense.
On se disait bien que tout cela était trop beau pour être vrai, mais devoir attendre la moitié du livre pour avoir un premier élément tangible c'est tout de même un peu long.
D'autant plus long que Vilas nous assène des références littéraires espagnoles en veux-tu, en voilà : Quevedo,
Antonio Machado,
Juan Ramón Jímenez,
Luis Cernuda,
Jorge Manrique,
Cervantès forcément, et même le portugais
Pessoa, sans qu'on comprenne toujours très bien pourquoi ; sauf pour Quevedo dont un sonnet constitue le leitmotiv du roman, et
Antonio Machado, éternel amoureux de son épouse (comme Marce de
Irène) et dont la tombe est à Collioure, ville-étape de notre héroïne.
Il y a aussi
Fellini, qui était l'ami du père de Marce. Et on comprend qu'il est là pour illustrer l'illusion, la magie du cinéma qui fait du vrai avec du faux, la porosité des frontières entre rêve et réalité. C'est une ficelle un peu grosse mais sympathique.
(Et qui contient involontairement une certaine ironie car le père de Marce faisait pour
Fellini des décors solides, réalistes, en bois et non en carton pâte. Ce que Vilas, lui, à mon sens, ne parvient pas à faire avec ce roman où tout paraît artificiel ou convenu, à l'exception de quelques formules percutantes et des toutes dernières pages du livre, où
Irène acquiert enfin un peu de consistance, apparaît finalement plutôt sympathique et nous arrache un sourire sincère et amusé.
Au milieu du roman donc, quand l'intrigue paraît décoller : les indices se multiplient qui annoncent que le passé d'
Irène est plein de zones d'ombres, que quelque chose dans son esprit qui tourne en rond ne tourne vraiment pas rond.
Et on se prend à échafauder des hypothèses.
Mais bien vite le pot-aux-roses nous est révélé et on se dit que tout ça pour ça, ça finit par faire beaucoup pour assez peu.
D'un côté c'est tant mieux parce que le projet de Vilas n'était certainement pas d'écrire un roman policier.
Mais d'un autre c'est tant pis, car le mystère d'
Irène ne nous est pas dévoilé par l'intrigue, il est raconté par un personnage du roman qui déroule une théorie tellement attendue, mais surtout tellement démagogique, que cela en est un peu gênant.
On se demande alors ce que vont bien pouvoir nous apporter les cinquante pages qui restent encore à lire.
Pas grand chose de mon point de vue.
Sauf les toutes dernières pages où
Irène nous apparaît roublarde à souhait, et dotée d'un appétit de vivre et de jouir qui sont aussi une immense peur de vivre.
Une femme éprise de liberté qui met les autres, hommes ou femmes, au défi de la suivre.
Un Don Juan de ce siècle ?
Ce dénouement est-il finalement le clin d'oeil goguenard d'un Vilas qui nous dirait qu'il nous a bien eus.
Pourquoi pas ? Mais alors et hélas pourquoi tant de tours et de détours, de discours et de verbiages ? Pourquoi un si long roman quand une nouvelle aurait pu faire merveille.
Comme si ce roman avait échappé à son auteur.
Et on se dit avec un peu de regret que si
Molière ou
Tirso de Molina, (le créateur de Don Juan) avaient été de ce siècle Don Juan se serait peut-être appelé Doña
Irene.