Fais moi de la colère je voulais le lire depuis l'annonce de la rentrée littéraire des éditions Les Escales. Il me donnait envie. M'attirer. Je l'ai eu service presse numérique via Netgalley. Et puis j'ai attendu. Patienté. Encore et encore. J'en repoussais la lecture puisque j'en craignais la complexité. J'avais raison et j'avais tort. Merci aux éditions Les Escales de m'avoir permis de lire cette quête métaphorique, ce conte imaginaire, où l'amour et la haine se côtoient et où j'ai chassé, à l'intérieur de moi, ce greed qui hante les hommes.
Mon avis
Tous deux sont nés dans le sang. Non pas celui d'une naissance que l'on affronte comme un passage, mais comme un combat. Leurs dents invisibles, leurs membres, leurs corps ont déchiré le ventre de leur mère. L'un est le fils d'un dictateur africain, l'autre fille d'un pêcheur. L'un est noir, l'autre est blanche. Les deux reflets d'une même pièce. Ismaëlle arrive, avec sa joie de femme, son envie de remplir son ventre, d'amour, d'autres choses, ses appétits, ses désirs qui la dévorent. Ezéchiel cherche une échappatoire, une Bête mystique, Mammon, le greed, allégorie fantasmée d'un pêché originel et perpétuel. Tous deux se lancent à sa poursuite, dans leur ventre, dans leur chair, dans l'eau du Lac Léman, dans les lumières de la ville. Ils se racontent, se complètent, s'acharnent. Ils se soignent aussi.
Il y a dans leur récit comme une poésie, un conte antique, une épopée extraordinaire contre des léviathans, des monstres marins qui n'en sont pas, des créatures qui dévorent. Partout autour des centaines de cadavres. le Lac Lémant comme un miroir de l'océan du monde, brumeux, ensanglantés, et toujours cette créature, métaphorique, immense, capable de les engloutir tout entier. Moby Dick revisité,
Vincent Villeminot nous livre un récit hanté, parfaitement maîtrisé, à l'écriture difficile et singulière.
Ils sont deux. Deux à parler. D'abord Ismaëlle, qui se découvre et se redécouvre, elle et son « père-mort », elle et sa « mère-absence », femme, corps, sorcière. Désir. Mais femme d'abord. Avant tout. Qui voit les flammes danser dans le palais aux courants d'air et qui s'y rend avec tout son courage pour y rencontrer « l'Ogre », le « Nègre ». Il m'a semblé plus propre, moins irréelle, un personnage à incarner, à contempler. Petit à petit leurs voix se mêlent, monologues ou dialogues, et à ses bonheurs fugaces, à sa joie presque enfantine, se lient la noirceur, les batailles et les guerres d'Ezéchiel. Matricide. Enfant-roi. Enfant-bâtard. Qui éventre les crocodiles dans les fosses, qui tient les manteaux des femmes que son père prend, dévore de l'intérieur, dans lesquels ils s'épand de tout son saoul jusqu'à les briser, qui devient le « Héros Nègre », qui a tué des démons et qui cherche à tuer le Monstre. A travers sa voix, à lui, se révèle un univers plus sombre, plus dangereux, plus concret aussi. Pour autant son langage se fait plus compliqué, plus métaphorique encore, et l'on doit chercher, encore et encore les symboles et leurs sens.
Les symboles. Ce roman en est pétri. Rien que par sa bête, Mammon : la richesse matérielle dans le Nouveau Testament, le Veau d'or dans la Torah, l'avarice dans la morale catholique. Cette avidité, ce greed qui nous ronge, nous laboure le ventre. Mais aussi par beaucoup d'autre. L'amour se fait euphorie, le Lac Lémant s'est transformé, le Palais des Courants d'air pillé, les banques, la neige… Tout fait sens et il faut parfois cherché, longtemps, pour comprendre. Ou pas. Se laisser porter par les sons, les mots, les phrases, qui sont parfois d'une beauté à couper le souffle. Une poésie.
Je ne dirais pas que sa lecture fut facile. En cela il est sans doute difficile pour moi de parler de ce roman, pas sûre d'en avoir compris tous les sens, pas sûre d'en avoir envie non plus. Il faut parfois se laisser porter.
En résumé
Fais de moi la colère est un récit qui se vit plus qu'il ne se lit, plus, d'ailleurs, qu'il ne se chronique. Et si moi j'en ai aimé la lecture, apprécié le sens, je ne saurais pas vous aiguiller. Avec lui c'est un saut dans l'inconnu, un plongeon aussi abstrait qu'allégorique avec pour Bête curieuse un Léviathan invisible, dévorant les vivants.
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