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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Les hasards de l'édition font paraitre deux ouvrages où il est éminemment question de l'Indochine française. le premier volet de la nouvelle saga de Pierre Lemaitre, « le grand monde », entre Beyrouth, Paris et surtout Saigon, nous plonge dans l'immédiat après-guerre ; le dernier récit d'Éric Vuillard, « Une sortie honorable », est consacré à ce même coin du monde où la France s'enlise dans une guerre coloniale finissante. le lecteur de ces deux ouvrages éprouvera sans doute, comme nous même, un vif plaisir. Pourtant ce plaisir n'est ni uniforme, ni univoque : nous n'éprouvons pas le même bonheur en lisant la prose de l'un ou l'autre. Mais d'où provient notre plaisir de lecteur ?


Avec le roman de Pierre Lemaitre, le plaisir de lecture est essentiellement un plaisir de reconnaissance. Nous entrons dans son univers fictionnel armé des certitudes du sens commun. A chaque fois ce qui nous est proposé avec cet auteur est semblable à ce que nous connaissons. Nous nous y sentons bien parce que nous savons où nous sommes. le monde proposé nous est familier car c'est celui éternel de la France et de l'humaine nature. Nous savons avec ce roman qui nous sommes, nous nous identifions à l'un ou l'autre personnage et nous occupons sans difficulté notre place de lecteur mené par le bout du nez au gré des rebondissements de l'intrigue. Pierre Lemaitre est diablement rusé. La famille Pelletier est installée au Liban et a réussi dans la savonnette Beyrouthine. Jean, Etienne, François et Hélène, enfants dévoyés de la bourgeoisie ordinaire, qui à Paris, qui à Saigon, s'en vont vivre leurs méchantes vies. Nous plongeons au coeur de quelques faits divers, quelques délits d'initiés, quelque scandale et le tour est joué. En bref, nous reconnaissons le monde conté avec ses personnages, ses valeurs, ses rôles que sans surprise la narration distribue. Et comme l'auteur sait écrire, notre plaisir est complet mais un peu triste tout de même puisque nous nous sentons complice de ressentir autant de bien-être. En ouvrant ce roman à sa première page, nous devenons alors nous-mêmes sujet de cette lecture, c'est-à-dire interpellé par le texte en être assujetti par et à l'idéologie dominante, astreint à ses évidences, à ses certitudes et donc à son sens commun. le plaisir ressenti avec « le grand monde » est certes intense mais un peu terne car il est celui du divertissement, de la passivité du lecteur placé là où il doit être et dûment manipulé. Pierre Lemaitre, sous le regard goguenard là-haut de Lucien Bodard, égaré par son énorme appétit de fiction, semble avoir quelque peu viré sa cuti. Il n'égratigne plus le capitalisme de guerre, il dénonce désormais la fourberie annamite, valorise le courage légionnaire et condamne le financement Vietminh par le truchement du scandale des piastres. C'est très différent mais pareillement réjouissant.


Avec le roman d'Éric Vuillard, c'est un tout autre plaisir du texte qui nous est offert, celui du dévoilement. C'est une manière décalée, singulière, de raconter l'histoire de l'Indochine française que nous découvrons avec lui, quelque chose d'inquiétant, quelque chose qui nous empoigne, nous saisit et nous force à penser. Gilles Deleuze aimait à dire que nous pensons que par coup de force : « Une sortie honorable » est un admirable coup de force. Cette France-là qui s'enlise dans la guerre d'Indochine nous est inconnue, notre place y est incertaine, des évènements (Badiousiens) peuvent s'y produire. Il ne faut pas aborder le livre d'Éric Vuillard comme un récit historique ordinaire ou comme un roman documenté de plus mais comme un projet artistique permettant de dire d'avantage et autrement. Il excède l'aspect documentaire, il reconstruit, reproduit différemment le conflit indochinois et la défaite de Diên Biên Phu. Il va chercher des évènements qui ne cadrent pas avec nos désirs, il reconfigure l'histoire à l'échelle des individus (Mendes, Navarre …), il exhibe des instants qui dérangent (dans les premières pages, visite d'une plantation d'hévéas par des inspecteurs du travail après une épidémie de suicides des ouvriers indigènes). Il déporte inconfortablement le lecteur hors du champ de bataille pour qu'il voie différemment. S'il est bien question dans le roman d'une grande défaite militaire française, il y est aussi question de ce qui l'entoure, ce qui est aveuglé par l'affrontement lui-même et qui cependant le constitue, le nourrit et l'explique : la déconsidération de l'ennemi (« battu par des hommes qu'il méprisait au fond, des paysans annamites ») ; le contrepoint Mendes (« quelqu'un dit la vérité, c'est-à-dire tâtonne dans l'obscur, cela se sent »), etc. le récit alors nous dévoile un monde que nous ne reconnaissons plus, ou pas encore, ou partiellement parce qu'il rompt avec les évidences et certitudes du sens commun. Ce qui a changé avec « Une sortie honorable », c'est donc la nature de la subjectivation que le texte nous propose et ne nous impose pas. Nous sommes interpellés à une place où la passivité n'est plus de mise, où nous sommes sommés de réfléchir et de réagir. Éric Vuillard fait de la littérature pour réorganiser nos rapports intimes à notre histoire. le plaisir ressenti avec « Une sortie honorable » est total.
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Peut-on souhaiter vivre la guerre sur tous ses fronts ? Ceux que les industriels et les financiers abandonnent avec flair et intérêt aux politiques ? Ceux que les politiques et la démocratie qui les lie entretiennent avec les états-majors ? Ceux que les militaires soumis, solidaires et soumis, nourrissent et défendent sur le terrain au gré d'ordres et de contre-ordres ? Et ceux que les civils enfin et surtout tissent en leur sein, divisés par les combats qui minent leur pays et leur peuple pour des générations ?
Avec la plume alerte d'un grand reporter, le ton coloré d'un chroniqueur et la lecture vivante et documentée d'un historien du réel, du réel et de son époque, Eric Vuillard nous captive et nous terrifie, guidant nos sens et nos esprits sur tous ces fronts, comme si nous y étions. Petite souris à ses côtés, allumant les coulisses en pleine lumière pour mieux éclairer notre conscience sur 30 ans de guerre, 30 ans de guerre et 4 millions de morts pour une simple déclaration d'indépendance.
Un livre court, tenace et obstiné comme le vent de la révolte contre les intérêts ligués pour défendre le profit matériel, au mépris du droit des hommes et des peuples à disposer d'eux-mêmes. Un vent qui souffle on l'espère aujourd'hui.
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Éric Vuillard fait le récit du désastre de la guerre d'Indochine (Vietnam). le récit est incisif, bref et cinglant.
L'auteur dénonce férocement, souvent avec ironie, l'incurie des décideurs et l'avidité des sociétés.

L''auteur débute en montrant le visage grimaçant de la colonisation. Il rapporte la visite d'un inspecteur, en 1928, d'une plantation Michelin (caoutchouc).
Suit une séance, en 1950, à la Chambre des députés où seul Pierre Mendès France suggère la décolonisation.

En fin de récit on assiste à une réunion, en 1954, du conseil d'administration de la Banque d'Indochine. Pour apprendre que, « derrière les gesticulations cocardières » des hommes politiques, « derrière les déclarations patriotiques enflammées » des généraux, « la banque avait clairement misé sur la défaite de la France »… et réalisé du coup de substantiels bénéfices.

On a beaucoup parlé des soldats de l'armée française massacrés en Indochine. Ironiquement pour l'essentiel, ces soldats étaient des tirailleurs africains. Et Vive la France comme dirait l'autre....
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D'une guerre à l'autre. C'est de celle d'Indochine qu'il est question ici, avec tout le talent que l'on reconnaît à Eric Vuillard.

Une fois encore - pensez à son Prix Goncourt, L'ordre du jour - il nous en résume les enjeux en quelques scènes clés. Des coolies qui fuient face à la cruauté des planteurs français. Une réunion des membres du gouvernement qui décident de poursuivre la guerre en dépit de tout bon sens. Les mêmes au restaurant, gros pleins de soupe qui s'empiffrent de foie gras, et reprennent la séance alourdis, voire endormis, de bonne chère et de fine. Deux généraux qui préparent la guerre sur plans et sont tout étonnés que le terrain ne ressemble pas à ce qu'ils avaient prévu, réfléchissant à une sortie honorable. On entre aussi dans le secret de la banque d'Indochine, où se trouvent rassemblés les plus grands profiteurs de guerre… Bref que du beau monde.

Toutes les guerres sont sales et l'auteur nous le montre avec une ironie mordante, une dureté qui fait mouche. L'écriture brève, quasi métallique, épouse parfaitement le propos. Eric Vuillard a le don de nous faire saisir les enjeux d'une situation en peu de mots, peu de pages. Une sortie honorable est, pour moi, un grand livre.

Lien : https://www.instagram.com/bc..
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Un récit historique totalement maîtrisé par Éric Vuillard. Précis, chirurgical, ramassé en moins de 200 pages, il décrit deux mondes parallèles: la geste nationale entretenue par le personnel politique de la 4ème république, exhortant au sacrifice, bien à l'abri dans leur confort et leur certitude, ceux que l'on appelait "ceux de l'arrière" et le monde feutrée de la banque, des affaires, de l'annonce de confortables dividendes en AG annuelle.
Sur le fond le récit rejoint le début du "voyage au bout de la nuit" de Céline.... A qui profite le sacrifice du petit peuple?
Ne passez pas sans le lire
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Encore une fois Éric Vuillard fait mouche. L'histoire se raconte sous nos yeux. Un épisode de notre histoire. La grande, la petite. On ne s'en lasse pas. Quel roman ! On comprend bien des rouages, tout est (bien) expliqué même si c'est à demi mot.
Vivement le prochain !
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Mes cent premières pages du livre en cent mots :

J'éprouve un plaisir certain à l'approche d'un récit d'Eric Vuillard. L'habitude est là. Comme un bon fauteuil à l'assise déjà creusée ou le parfum retrouvé d'un lieu oublié. C'est immédiat. On sait que le moment sera agréable, et on se laisse aller au gré des mots. Ouvrir un de ses livres, c'est prendre le temps de papillonner pour observer l'Histoire se faire. Cette fois-ci, l'auteur nous guide dans les contrées d'Indochine et nous invite dans les débats parlementaires des années 50, au milieu de députés empiffrés et surannés. Ne reste alors qu'à s'asseoir pour regarder avec eux le navire sombrer.
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N°1684 – Octobre 2022

Une sortie honorableEric Vuillard – Actes sud.

Sous ce titre très classique et convenu, il s'agit rien moins que de sortir la France de la guerre coloniale perdue d'avance d'Indochine mais qui aura duré de 1946 à 1954. Ce pays riche servait surtout aux importants banquiers et industriels français à s'enrichir sur le dos des coolies exploités dans les plantations d'hévéas et des soldats venus des autres colonies de l'empire pour y mourir au combat. Cette « sortie honorable » était réclamée par des hommes politiques plus enclins à assurer leur avenir dans la valse des ministères dont la IV° république avait la spécialité, devant l'issue inévitable de cette guerre lointaine dont personne ne parlait vraiment dans l'opinion. Pourtant il fallait tenir le terrain face au Viêt-minh qui chaque jour avançait dans sa reconquête, face à des généraux incompétents plus soucieux de leur avancement ou des décorations qu'on épinglait sur leurs poitrines. Il fallait frapper un grand coup et ce fut la construction du camps retranché de Diên Biên Phu pour lequel on sacrifia cette vallée paisible et agricole, on brûla des récoltes, on déplaça des populations, une cuvette entourée de collines auxquelles on donna des prénoms de femme et bordée par la jungle où l'ennemi ne manqua pas de se retrancher et d'attaquer sans relâche jusqu'à l'encerclement complet. Sa victoire fut d'autant plus facilement acquise que le camp manquait de tout, qu'il fallait organiser une résistance économique, autant dire au rabais, malgré la livraison du matériel des américains et leur projet atomique inspiré par hiroshima. Cependant la défaite militaire avec ses morts n'en fut pas une pour tout le monde et spécialement pour les banquiers.

J'ai déjà lu avec plaisir et attention Eric Vuillard et son « Ordre du jour » où il dévoile les dessous de l'Anschluss. J'ai retrouvé ici la même plume incisive, le même humour subtil et les mêmes précisions documentaires détaillées, avec des portraits de personnages emblématiques et célèbres dont il bouscule la légende, se glissant même fictivement dans leur peau, bref tout ce que l'histoire officielle a pris soin de nous cacher ou d'oublier.
Malheureusement pour les Vietnamiens, ce n'était pas terminé.
Pertinent, impertinent et passionnant, comme toujours !
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Cela faisait longtemps que je n'avais pas lu un livre comme celui-ci, avec une plume mordante comme celle-là.

1929. Les premiers inspecteurs du travail débarquent en Indochine pour contrôler les entreprises française (Michelin par exemple) suite à des signalements d'abus sur des coolis.Mais chaque sévice est présenté comme une exception, une bavure, ou l'oeuvre du sadisme d'un gardien.
L'histoire suit son cours, et nous la survolons pour nous poser au début des années 1950, entre Paris, l'Assemblée Nationale, et l'Indochine. Les personnes qui traversent le livre, les portraits politiques, militaires ou économiques décrit de façon vive, alerte, sous la plume d'Eric Vuillard, ont tous existé, ont tous joué un rôle important dans les mesures prise en France comme là-bas, autour de l'économie et de l'avenir de cette province.
Eric Vuillard pointe du doigt les motivations, les faiblesses, les moteurs de ces hommes, dont les actions se répercutent à l'autre bout de la planète. Ces hommes de l'entre-soi des salons parisiens, dont les décisions montrent le décalage frappant entre ce qui se trame dans les salons et la réalité du terrain.
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Un angle inédit et très intéressant sur la guerre d'Indochine et la présence française dans cette région du monde. Les dessous des cartes et de la guerre, qui démontre une fois de plus qu'on ne se bat pas pour un pays ou des valeurs mais pour des industriels et le capitalisme.
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