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EAN : 9782330103668
80 pages
Actes Sud (02/01/2019)
3.61/5   370 notes
Résumé :
Les exaspérés sont ainsi, ils jaillissent un beau jour de la tête des peuples comme les fantômes sortent des murs.

É. V.

Ecrivain et cinéaste né en 1968 à Lyon, Eric Vuillard est notamment l'auteur chez Actes Sud de Tristesse de la terre (2014, prix Joseph-Kessel) et de L'ordre du jour (2017), qui lui a valu le prix Goncourt.
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Critiques, Analyses et Avis (85) Voir plus Ajouter une critique
3,61

sur 370 notes
La guerre des pauvres d'Éric Vuillard ou la révolution des consciences

Au XVIe siècle l'invention de l'imprimerie va permettre la diffusion des livres, à commencer par le premier d'entre eux, la Bible, autorisant ainsi sa relecture mais aussi des réinterprétations possibles lourdes de conséquences : « Ainsi, en trois ans, on en fit cent quatre-vingts, pendant qu'un seul moine, lui, n'en aurait copié qu'une. Et les livres s'étaient multipliés comme les vers dans le corps. » L'invention de Gutenberg va révolutionner les âmes et le monde.
La « grande querelle » peut commencer.

Il s'appelle Thomas Müntzer, il prêche la Parole divine en Saxe d'où il est chassé avant de s'installer en Bohème. Nous sommes aux alentours de 1520. Cet homme d'Église croit en une chrétienté authentique et pure et que tout est dans les Évangiles. Il pense qu'il existe « une relation directe entre les hommes et Dieu ».
Dans ce cas, pourquoi autant de prélats, et surtout pourquoi autant d'apparat. Pourquoi l'Église s'essouffle-t'elle à exhorter les pauvres à accepter leur sort, sans faire voeu elle-même de pauvreté. Dieu serait-il du côté des riches ?
Ses pensées dérangent, mais ses idées se diffusent à mesure de ses sermons, alors que non contente d'être diffusée, la Bible sera traduite, démultipliant ainsi sa relecture, à condition de savoir lire bien sûr... Les soutiens affluent, aussi vite que les détracteurs s'organisent.
Le conflit est inévitable.

« Si Dieu avait condamné certains hommes à vivre dans la servitude et d'autres à vivre libres, il les aurait sans doute désignés » : ces paroles sont de John Ball, vers 1370. Terreau pour l'idée d'une certaine « égalité des âmes ». « Contre l'argent, la force et le pouvoir » : ces pensées révolutionnaires déchaînent la foule des injustices.
Mais les puissants sont armés, la fougue du coeur sera-t'elle plus solide que leurs armures ?
Éric Vuillard introduit ainsi dans ce texte très court l'idée de la Réforme et l'histoire de la chrétienté, mais aussi la diffusion d'idées révolutionnaires contre l'ordre établi.
Des idées étonnamment contemporaines : « Il parlait d'un monde sans privilèges, sans propriété, sans État », et qui résonnent avec notre actualité : « le fond devint social, enragé ».
L'auteur de L'Ordre du jour, prix Goncourt 2017, revient ici avec un roman historique au style épique et idéaliste, chantant une poésie teintée de réalisme concret. Un roman dans lequel il continue d'explorer l'idée de révolution qu'il avait entamée dans 14 juillet. À lire d'une traite !

Lu en janvier 2019.
Retrouvez ma chronique sur mon blog le conseil des libraires Fnac :


Lien : https://www.fnac.com/La-Guer..
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La guerre des pauvres est un opuscule de soixante-huit pages seulement mais c'est un récit fort et intéressant sur ces oubliés qui constituent les masses laborieuses, paysans, ouvriers et manants : les pauvres.
En 1524, ceux-ci vont se soulever dans le sud de l'Allemagne contre les puissants et les nantis. le jeune théologien Thomas Müntzer est à leurs côtés. La diffusion de la Bible puis sa traduction ont permis sa lecture et des interprétations.
Ainsi, Thomas Müntzer pense qu'il existe « une relation directe entre les hommes et Dieu. » Aussi, pourquoi tant de prélats et tant d'apparat dans l'Église qui, elle, exhorte les pauvres à accepter leur sort ?
Ses idées se diffusent et la révolte prend de l'ampleur mais les détracteurs s'organisent et le conflit est inévitable.
Dans La guerre des pauvres, Éric Vuillard relate les luttes sociales du Moyen Âge mais comment ne pas voir en écho nos propres luttes actuelles, dans un monde contemporain où plus de 80 % des richesses sont concentrées entre les mains de 1 % des plus fortunés. Il relate une lutte d'abord d'origine religieuse puis économique et politique.
Nous sentons, sous sa plume, comme dans ses précédents ouvrages, que ce soit 14 Juillet ou L'ordre du jour, un sentiment de colère, d'indignation contre l'injustice, le cynisme et l'égoïsme des puissants. Un sentiment que je partage entièrement.
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Comment écrire un livre très actuel en parlant de faits datant de plusieurs siècles ?

Éric Vuillard le fait et le réussit bien dans ce court récit, La guerre des pauvres. Auteur découvert avec 14 juillet puis son fameux Prix Goncourt, L'ordre du jour, il excelle dans la concision et sa lecture est toujours très instructive.
En quelques pages, il nous raconte l'histoire de Thomas Müntzer dont le père fut exécuté en 1500. La vie de cet homme aurait sûrement été tout autre si, cinquante ans plus tôt, l'invention de l'imprimerie n'avait permis à de plus en plus de monde de lire enfin la Bible dans le texte plutôt que de se contenter de ce latin incompréhensibles et des commentaires orientés des gens dit d'Église.
Éric Vuillard rappelle fort à propos que, deux siècles plus tôt, de l'autre côté de la Manche, Johan Wyclif avait traduit cette même Bible en anglais, préconisant une relation directe à Dieu, se passant donc de prélats. Ensuite, John Ball a mené la révolte contre une nouvelle taxe : « Les paysans marchent en ordre et ils sont nombreux, plus de cent mille, on vient de partout, des foules misérables se rassemblent. » Hélas, ces révoltes se terminent dans le sang et par l'écrasement des plus faibles.
Retour en Bohême avec Jan Hus qui se bat contre l'argent et le pouvoir des princes : jugé, brûlé ! Enfin, on retrouve Thomas Müntzer en 1522. Il dit la messe en allemand, parle de « pauvres laïcs et paysans » mais ne voit que la violence pour changer, violence qui se retourne contre les hordes de misérables.
Dans ce livre étonnant, Dieu est mis à toutes les sauces, permettant de justifier tout et son contraire. Cette invention humaine offre toutes les perspectives puisqu'on lui fait dire ce que l'on veut, s'appuyant sur des textes écrits puis réécrits par des humains.
Éric Vuillard rappelle donc et démontre que seule la violence arrive à faire reculer les puissants qui ne cessent de tout faire pour s'enrichir toujours plus. Hélas, ceux-ci possèdent la force et les armes. Combien de révoltes suscitées par la misère se sont terminées dans le sang ? de plus, il est certain que quantité de conquêtes sociales sont sans cesse remises en cause, comme l'époque actuelle nous le confirme.

Heureusement, Éric Vuillard promet une suite à cet essai, suite peut-être plus optimiste…
Lien : http://notre-jardin-des-livr..
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"L'histoire du monde est pleine de révolutions; on n'y voit que des guerres civiles, tumultes, séditions causés par la méchanceté des princes, et je ne sais ce qu'il faut admirer le plus à cette heure de l'impudence des gouvernants ou de la patience des peuples."
( A. France, "Les opinions de M. Jérôme Coignard")

Oui, à toutes les époques, le peuple a toujours été patient, conciliant et accommodant. Mais il ne peut pas se plier infiniment aux injustices des autorités religieuses ou politiques; il ne peut pas éternellement continuer à donner sans rien recevoir. Et parfois, le vase déborde...

Pourquoi cet opuscule, et pourquoi maintenant ?
Je l'ai acheté, parce qu'en l'ouvrant au hasard dans une librairie, j'ai vu que cela parle aussi de Jan Hus et des émeutes religieuses en Bohême au 15ème siècle. J'y ai trouvé un peu plus, et somme toute, c'était assez instructif.
La guerre des pauvres... Elle éclate à chaque fois que les gens ordinaires, les masses, les nations, sont poussés à bout. Ceux qui commandent mal ne peuvent qu'être mal obéis, ainsi va le monde. Il suffit alors d'une voix qui ose parler, une petite étincelle, qui met le feu au désir collectif de justice.

Vouillard a choisi Thomas Müntzer, un prédicateur radical du 16ème siècle, comme un exemple de cette "voix du peuple", et je me demande quelles étaient les raisons de son choix. Je sais seulement que Müntzer a été d'abord bien accueilli et écouté par les universitaires pragois qui partageaient les mêmes opinions sur la réforme de l'Eglise que lui, mais son fanatisme les a rapidement découragés, et Müntzer a été banni de Prague. Dénoncer la fausseté des prélats, leurs distorsions des textes bibliques et leurs indulgences, retour à la pureté chrétienne, oui; les appels aux meurtres et aux pillages, non. Le fanatisme n'a jamais été une solution.
Bien plus radical que Luther lui-même, le soulèvement que Müntzer a provoqué en Saxe ne fait que démontrer une fois de plus que même en militant pour une cause juste, le fanatisme est aveugle et pousse parfois les gens à commettre l'irréparable. Mais aussi que ceux qui se sentent menacés ripostent souvent par la force. Müntzer finit décapité, et sa tête est exposée à la vue de la petite armée de ceux qui pensaient qu'ils n'avaient plus rien à perdre.

Mais tel était aussi le cas de John Wyclif avec sa traduction de la Bible en anglais, afin de créer un lien direct lecteur-Dieu. La sainte Eglise crie au sacrilège, et Wyclif est condamné, tout comme plus tard William Tyndale et bien d'autres, dont le livre ne parle plus. C'est presque inutile, car toutes ces histoires sont pratiquement identiques.
John Ball se soulève contre la poll-tax, et il est exécuté.
Jan Hus croit que le concile de Constance le laissera défendre ses opinions réformatrices, mais il finit sur le bûcher coiffé d'une couronne d'hérétique avant même d'avoir la possibilité d'y prendre la parole. Un bouc émissaire, pour montrer à tous ces rebelles que la justice des riches n'a que faire de la justice divine.

Mais les pauvres sont seulement pauvres. Ils ne sont pas sots, sourds et aveugles. Certaines choses doivent changer, quand le temps y est propice.
J'ai dit que le livre est instructif, mais certainement plus politiquement qu'historiquement. Comment ne pas y voir des parallèles avec le mouvement des Gilets Jaunes ? Mais j'hésite entre la possibilité de le voir comme un avertissement que tous ces soulèvement populaires "finissent mal, en général" (comme dit la chanson), et un subtil message d'espoir.
Tout ça n'a pas servi à rien, et je pense à une autre chanson qui dit "people have the power". Même un minuscule grain de sable dans les rouages huilés du pouvoir peut enrayer la machinerie et la dévier doucement de sa trajectoire. Il le faut. Et peut-être qu'un jour "la vérité triomphera" vraiment, comme dit la devise tchèque inspirée par les paroles de Jan Hus. Mais quand et comment ?
Trois étoiles et demi pour le style vif d'Eric Vouillard dans ce petit concentré sur la guerre des pauvres.
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La guerre des pauvres de l'auteur Éric Vuillard est un bref récit relatant l'histoire de Thomas Müntzer, un prédicateur du 16e siècle qui mena la révolte des pauvres et des déshérités contre les princes et les nantis, contre les abus de l'Église et des puissants. Un gilet jaune avant l'heure qui à partir de sa lecture des Évangiles rassembla une armée hétéroclite et embrasa les territoires sur lesquels sa troupe en guenilles passait. Cette violence auréolée de quelques succès ne résistera aux représailles des troupes princières et la révolte fût matée dans le sang et les cris. Lui finira la tête tranchée...
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critiques presse (7)
LeDevoir
12 février 2019
Pour Éric Vuillard, l’Histoire est une sorte de vis sans fin, un grand livre ouvert à toutes les pages, une sorte d’éternel bégaiement. L’écrivain français renoue avec sa manière dans La guerre des pauvres, un très court récit au souffle puissant qui nous plonge dans le sud de l’Allemagne en 1524, alors que, sous la conduite du théologien Thomas Müntzer, des armées de « pauvres » se soulèvent.
Lire la critique sur le site : LeDevoir
LaPresse
06 février 2019
Ce petit récit de 68 pages fait le lien avec notre époque, en évoquant d'un trait vif la destinée de Thomas Müntzer, prédicateur farouchement égalitaire, ennemi des princes, qui disait la messe dans la langue du peuple, et qui a mené la révolte des paysans de 1525 en Allemagne, réprimée dans le sang.
Lire la critique sur le site : LaPresse
LaLibreBelgique
30 janvier 2019
La guerre des pauvres est un tout petit livre, 68 pages seulement, mais à sa manière un bijou d’écriture. Comme à son habitude, Eric Vuillard, prix Goncourt 2017 avec L’ordre du jour, raconte un moment d’histoire, avec une précision chirurgicale et une langue magnifique.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
LeSoir
28 janvier 2019
Eric Vuillard éclaire le présent par La guerre des pauvres.
Lire la critique sur le site : LeSoir
LeMonde
22 janvier 2019
Dans La Guerre des pauvres, il analyse la « guerre des paysans » allemands au XVIe siècle, un livre « aimanté par le contexte actuel ».
Lire la critique sur le site : LeMonde
Bibliobs
16 janvier 2019
On retrouve dans ce livre tout ce qu’on aime chez Eric Vuillard : la précision de son érudition, son art de la narration, les moments où l’exactitude le cède à l’imagination, les montées en généralité soudaines, le mélange du trivial et du métaphysique, et sa langue dense et joueuse.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
LaCroix
04 janvier 2019
L’écrivain Éric Vuillard, prix Goncourt 2017, publie un nouveau récit littéraire aux confins de la fiction et de l’Histoire, relatant des luttes sociales du Moyen Âge pas si éloignées des nôtres.
Lire la critique sur le site : LaCroix
Citations et extraits (93) Voir plus Ajouter une citation
Ainsi, des quatre coins de l'Empire surgirent des hordes de misérables. Müntzer chantait, la foule venait. Le landgrave de Hesse n'en croyait pas ses yeux. Puis ce furent les ouvriers des villes, les fous, toute la paysannerie se souleva brusquement. Il y eut un grand effroi chez les nobles et les bourgeois. Les femmes quittaient le foyer, les enfants marchaient à travers champs la suite du Saint-Esprit. Les jeunes filles, les vagabonds, la populace atroce, les bêtes même ! On vit ainsi toutes sortes de gens, allant par deux ou trois, tout seuls aussi, partis sans bagage, sans rien. On ne savait pas ce qu'ils voulaient. Les seigneurs et leurs bandes armées n'osaient plus rien faire ; ils les regardaient passer, effarés. Une vague crainte commençait de naître. Que fallait-il décider ? On n'avait jamais vu ça. Tout le monde laissait derrière lui sa maison, sa cahute, et rejoignait la foule errante. Et où allaient-ils tous ces gens ? On l'ignorait. On craignait même de les disperser. Ils dormaient dans les bois, dans la paille, rêvant.

Pages 60-61, Actes Sud, 2019.
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Et maintenant, voici que le pape appelle à la croisade contre le roi de Naples, et voici que Jan Hus monte en chaire, dans la petite chapelle de Bethléem, et prêche la désobéissance ; il prêche l'amour, la prière, même pour les ennemis du Christ, et tonne que le repentir ne passe ni par l'argent des indulgences, ni par la violence des croisades, ni par le pouvoir des princes. C'est fait. Les mots sont dits de nouveau : "ni par l'argent ni par le pouvoir ni par les princes", ces mêmes petits mots qui changent de forme, de ton mais pas de cible, et qui, lorsqu'ils reviennent au monde, toujours s'acharnent contre l'argent, la force et le pouvoir. Ces mots vont petit à petit devenir les nôtres. Ils vont mettre longtemps, très longtemps à faire leur chemin jusqu'à nous. On les entend mal encore dans les prêches de Jan Hus, mais peut-être ne les avait-on jamais si bien entendus.

Pages 29-30, Actes Sud, 2019.
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Cinquante ans plus tôt, une pâte brûlante avait coulé, elle avait coulé depuis Mayence sur tout le reste de l' Europe, elle avait coulé entre les collines de chaque ville, entre les lettres de chaque nom, dans les gouttières, par les méandres de chaque pensée ; et chaque lettre, chaque morceau d'idée, chaque signe de ponctuation s'était retrouvé pris dans un bout de métal. On les avait répartis dans un tiroir de bois. Les mains en avaient choisi un et encore un et on avait composé des mots, des lignes, des pages. On les avait mouillées d'encre et une force prodigieuse avait appuyé lentement les lettres sur le papier. On avait refait ça des dizaines et des dizaines de fois, avant de plier les feuilles en quatre, en huit, en seize. Elles avaient été mises les unes à la suite des autres, collées ensemble, cousues, enveloppées dans du cuir. Ça avait fait un livre. La Bible.

Pages 8-9, Actes Sud, 2019.
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Depuis longtemps, on éprouvait une impression troublante, pénible, il y avait tout un tas de choses qu'on ne comprenait pas. On avait du mal à comprendre pourquoi Dieu, le dieu des mendiants, crucifié entre deux voleurs, avait besoin de tant d'éclat, pourquoi ses ministres avaient besoin de tellement de luxe, on éprouvait parfois une gêne. Pourquoi le dieu des pauvres était-il si bizarrement du côté des riches, avec les riches, sans cesse ? Pourquoi parlait-il de tout laisser depuis la bouche de ceux qui avaient tout pris ?

Pages 13-14, Actes Sud, 2019.
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Les bourgeois entendirent prêcher Müntzer, à l’église Sainte-Marie ; mais au retour d’Egranus, qu’il avait remplacé, on le nomma à l’église Sainte-Catherine, paroisse des tisserands et des mineurs. Là, Müntzer dut côtoyer le groupe des prophètes de Zwickau : Storch, Stübner, Drechsel. Ces trois ombres s’agitaient de toutes leurs forces, baignant dans l’extase, les visions et les songes, guettant les moments où le Bon Dieu leur parlait directement. La grande querelle était de prôner un baptême volontaire et conscient. Oh ! ça paraît un peu démodé cette idée de baptême, ce rationalisme de fous furieux, cette Aufklärung des burettes. Mais c’est une réaction à la corruption de l’Eglise, à l’irrationalité de la doctrine et des sacrements. Car ils lisent autre chose qu’Augustin et Thomas d’Aquin les fous furieux de Zwickau, ils lisent Érasme et Nicolas de Cues, ils lisent Raymond Lulle et Jean Hus, ils polémiquent, ils argumentent, ils veulent se tenir nus dans la vérité.
Ainsi, la ville est partagée en deux. Il y a d’un côté les patriciens, à Sainte-Marie, de l’autre, à Sainte-Catherine, la plèbe. La raison et la pureté, ce sera pour les pauvres : c’est devant eux que Müntzer commence à s’agiter, c’est là que sa blessure s’avive. Il parle. On l’écoute. Il cite les Évangiles : « Vous ne pouvez servir Dieu et les richesses. » Il croit pouvoir lire les textes tout simplement, à la lettre ; il croit en une chrétienté authentique et pure. Il croit que tout est écrit noir sur blanc dans saint Paul, qu’on trouve tout ce qu’il faut dans les Évangiles. Voilà ce qu’il croit.
Et c’est cela qu’il va prêcher aux pauvres tisserands, aux mineurs, à leurs femmes, à tous les misérables de Zwickau. Il cite l’Évangile et met un point d’exclamation derrière. Et on l’écoute. Et les passions remuent, car ils sentent bien, les tisserands, que si on tire le fil toute la tapisserie va venir, et ils sentent bien, les mineurs, que si on creuse assez loin toute la galerie s’effondre. Alors, ils commencent à se dire qu’on leur a menti. Depuis longtemps, on éprouvait une impression troublante, pénible, il y avait tout un tas de choses qu’on ne comprenait pas. On avait du mal à comprendre pourquoi Dieu, le dieu des mendiants, crucifié entre deux voleurs, avait besoin de tant d’éclat, pourquoi ses ministres avaient besoin de tellement de luxe, on éprouvait parfois une gêne. Pourquoi le dieu des pauvres était-il si bizarrement du côté des riches, avec les riches, sans cesse ? Pourquoi parlait-il de tout laisser depuis la bouche de ceux qui avaient tout pris ?
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