Simone Weil (à ne pas confondre avec Simone Veil) est une philosophe, humaniste, écrivain et militante politique française. Née en 1909 et décédée en 1943.
Elle a fait "l'expérience d'une rencontre personnelle avec Dieu" à l'occasion de Pâques en 1938.
Il est difficile de poser des mots sur de tels textes (4, extraits du live du même nom), alors je préfère vous renvoyer à mes citations choisies essentiellement dans le texte 4.
Il n'est pas nécessaire de croire en quelque Dieu que ce soit pour apprécier ces paroles.
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Ceux que le Christ reconnait comme ayant été ses bienfaiteurs, ce sont ceux dont la compassion reposait sur la connaissance du malheur. Les autres donnent capricieusement, irégulièrement, Ou au contraire trop régulièrement, par l'effet ou des habitudes imprimées par l'éducation, ou de la conformité aux conventions sociales, ou de l'orgueil, ou d'une pitié charnelle, ou du désir d'une bonne conscience, bref, par un mobile qui les concerne eux-mêmes. Ils sont hautains, ou prennent un air protecteur, ou expriment une pitié indiscrète, ou laissent sentir au malheureux qu'il est seulement à leurs yeux un exemplaire d'une certaine espèce de malheur. De toute manière leur don est une blessure. Et ils ont leur salaire ici-bas, car leur main gauche n'ignore pas ce qu'a donné leur main droite. Leur contact avec les malheureux ne peut se faire que dans le mensonge, car la vraie connaissance des malheureux implique celle du malheur. Ceux qui n'ont pas regardé la face du malheur ou ne sont pas prêts à le faire ne peuvent s'approcher des malheureux que protégés par le voile d'un mensonge ou d'une illusion. Si par hasard soudain dans le visage d'un malheureux la face du malheur apparait, ils s'enfuient.
Le bienfaiteur du Christ, en présence d'un malheureux, ne sent aucune distance entre lui et soi-même ; il transporte en l'autre tout son être; dès lors le mouvement d'apporter à manger est aussi instinctif, aussi immédiat, que celui de manger soi même quand on a faim. Et il tombe presque aussitôt dans l'oubli comme tombent dans l'oubli les repas des jours passés. Un tel homme ne songerait pas à dire qu'il s'occupe des malheureux pour le Seigneur ; cela lui paraîtrait aussi absurde que de dire qu'il mange pour le Seigneur. On mange parce qu'on ne peut pas s'en empêcher. Ceux que le Christ remerciera donnent comme ils mangent.
Le malheur rend Dieu absent pendant un temps, plus absent qu'un mort, plus absent que la lumière dans un cachot complètement ténébreux. Une sorte d'horreur submerge toute l'âme. Pendant cette absence il n'y a rien à aimer. Ce qui est terrible, c'est que si, dans ces ténèbres où il n'y a rien à aimer, l'âme cesse d'aimer, l'absence de Dieu devient définitive. Il faut que l'âme continue à aimer à vide, ou du moins à vouloir aimer fût-ce avec une partie infinitésimale d'elle-même. Alors un jour Dieu vient se montrer lui-même à elle et lui révéler la beauté du monde, comme ce fut le cas pour Job. Mais si l'âme cesse d'aimer elle tombe dès ici-bas dans quelque chose de presque équivalent à l'enfer.
C'est pourquoi ceux qui précipitent dans le malheur des hommes non préparés à le recevoir tuent des âmes. D'autre part, à une époque comme la nôtre, où le malheur est suspendu sur tous, le secours apporté aux âmes n'est efficace que s'il va jusqu'à les préparer réellement au malheur. Ce n'est pas peu de chose.
Transporter son être dans un malheureux, c'est assumer son malheur pour un moment, prendre volontairement ce dont l'essence même consiste à être imposé par contrainte et contre la volonté. C'est là une impossibilité. Le Christ seul la fait. Le Christ seul peut le faire, et les hom- mes dont le Christ occupe toute l'âme. Ceux - là, en transportant leur être propre dans le malheureux qu'ils secourent, mettent en lui, non pas réellement leur être propre, car ils n'en ont plus, mais le Christ lui-même.
Il ne dépend pas de nous de croire en Dieu, mais seulement de ne pas accorder notre amour à de faux dieux. Premièrement, ne pas croire que l'avenir soit le lieu du bien capable de combler. L'avenir est fait de la même substance que le présent. On sait bien que ce qu'on a en fait de bien, richesse, pouvoir, considération, connaissances, amour de ceux qu'on aime, prospé rité de ceux qu'on aime, et ainsi de suite, ne suffit pas à satisfaire. Mais on croit que le jour où on en aura un peu plus on sera satisfait. On le croit parce qu'on se ment à soi-même. Car si on y pense vraiment quelques instants on sait que c'est faux. Ou encore si on souffre du fait de la maladie, de la misère ou du malheur, on croit que le jour où cette souffrance cessera on sera satisfait. Là encore, on sait que c'est faux ; que dès qu'on s'est habitué à la cessation de la souffrance on veut autre chose.
Mais à considérer les choses froidement, ce n'est pas là un gaspillage plus pitoyable que celui de la beauté du monde. Combien de fois la clarté des étoiles, le bruit des vagues de la mer, le silence de l'heure qui précède l'aube viennent-ils vainement se proposer à l'attention des hommes ? Ne pas accorder d'attention à la beauté du monde est peut-être un crime d'ingratitude si grand qu'il mérite le châtiment du malheur.
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Pouvons-nous vraiment réclamer des droits si nous n'acceptons pas d'avoir également des devoirs ? Savez-vous quelle philosophe a formidablement abordé le sujet ?
« Les besoins de l'âme » de Simone Weil, c'est à lire en poche chez Payot.