« Tom prit la parole et leur dit que ce n'était encore rien d'autre que des marches frontières, rien d'autre qu'un territoire sauvage situé entre deux pays, où les hommes pouvaient aller mais où la loi ne suivait pas. Il leur dit que c'était par le fer, le feu et le sang, qu'on ferait de ce pays autre chose que des marches sauvages, mais qu'on pouvait compter sur les hommes pour cela, parce que c'était ce qu'ils faisaient toujours : partout où ils allaient, les hommes apportaient avec eux le fer, le feu et le sang. »
Dynamitage en règle du mythe de la Conquête de l'Ouest et de la croyance en une « Destinée Manifeste ».
Lance Weller ne fait clairement pas dans la dentelle et c'est avec application et méthode qu'il va exploser un à un les clichés héroïques et romanesques du mythe dans ce roman intense, brutal et âpre.
Âmes sensibles d'abstenir !
La construction du récit est originale et intelligente. Des allers-retours entre différentes époques permettent de comprendre l'histoire personnelle de chacun des trois personnages et les circonstances dans lesquelles ils se sont rencontrés. de manière plus surprenante,
Lance Weller fait le choix de régulièrement court-circuiter le suspense de son récit en annonçant en avance certains évènements. Une manière de focaliser le lecteur sur le sujet central du roman : le constat amer et désolant d'une conquête de l'ouest qui s'est fait dans la violence et dans le sang.
Et en matière de violence rien ne sera épargné au lecteur : massacres, viols, tortures, mutilations.
Lance Weller ne fait pas dans l'ellipse pour décrire toutes ces scènes, c'est au contraire brut, direct, sans concession, nous permettant de prendre la mesure du monde sans foi ni loi qu'était l'Amérique en ce milieu du XIXe siècle. On sort de cette lecture avec le sentiment effroyable qu'une vie humaine n'avait finalement que peu de valeur face aux désirs de gloire et de réussite que promettait le Nouveau Monde.
Ce qui est aussi frappant dans le roman, c'est cette impression constance que la nature elle-même, comme contaminée par la violence des hommes, devient elle aussi hostile et effrayante. Cela renforce le sentiment d'oppression qui imprègne le récit et donne encore plus de force et d'impact à l'histoire.
« le pays était détrempé et désolé, et s'il existait encore du vert dans ce monde, c'était ailleurs, car ici, tout était brun. de la boue et des arbres nus et de la boue et la route défoncée et de la boue. le gris des cieux, inexorable, le bringuebalement du chariot, interminable, le martèlement chuintant des sabots, qui n'était plus maintenant un bruit aussi agréable à entendre. La pluie tombait, semblant parfois saturer l'air lui-même de telle manière que Flora absorbait les gouttes, si bien qu'il pleuvait à l'intérieur d'elle. »
Tom, Pigsmeat et Flora n'en paraissent que plus esseulés au milieu de toute cette barbarie, contraints parfois eux-mêmes de devoir tuer pour rester en vie et c'est avec résignation et très peu d'espoir qu'on suit leur périple sanglant pour rejoindre le Mexique.
Un roman puissant, saisissant, donc la lecture a été parfois difficile pour moi tant il est marqué au fer rouge par la violence.