Alors, je crois qu'écrire, pour un médecin comme pour n'importe qui, c'est prendre la mesure de ce qu'on ne se rappelle pas, de ce qu'on ne retient pas. Ecrire, c'est tenter de boucher les trous du réel évanescent avec des bouts de ficelle, faire des nœuds dans des voiles transparents en sachant que ça se déchirera ailleurs. Ecrire, ça se fait contre la mémoire et non pas avec.
Ecrire, c'est mesurer la perte.
Qu'on le veuille ou non, on est toujours médecin. Mais on n'est pas tenu de le faire payer aux autres, et on n'est pas, non plus, obligé d'en crever. (p.641)
Que deviendra mon corps quand l’autre ne sera plus ? Que deviendra ma vie ? Que deviendra ton corps quand j’aurai disparu ?
Pour faire ce boulot jusqu'au bout, il faut être cinglé. Il n'y a que des cinglés pour vouloir sauver la vie des gens, sans se rendre compte que c'est impossible. Ceux qui font semblant de croire le contraire sont des salauds.
Tout le monde parle d'amour, et il n'y a que des arrangements. Des espoirs distincts, parfois inconciliables, inscrits entre les lignes d'une même liste de mariage. Des attentes démesurées qu'on sait l'autre inapte à combler.
Tout le monde parle de confiance, et il n'y a que des faux-semblants, des déguisements, des mensonges. A l'intérieur du couple, c'est chacun pour soi. Autant dire que c'est la guerre.
Et le sentiment le plus fort, c'est souvent le mépris.
Par un juste retour des choses, le médecin se laissa tomber dans son siège en soupirant : "Mes malades me tuent".
SACHA GUITRY
La vie à deux, le plus souvent, ce n’est pas une vie de couple, mais une vie de coups, une vie de cons. J’ai vu tant de couples mal assortis, à la fois haineux et complaisants, pour lesquels le seul enjeu était le pouvoir –imposer la couleur du canapé et le carrelage de la salle-de-bains, choisir le nom des enfants et la façon de les habiller, refuser le plaisir au nom du devoir, voler des plaisirs au nom de la liberté individuelle, rejeter le désir de l’autre pour justifier ses propres frustrations, le laisser baiser à droite et à gauche pour ensuite, avec magnanimité et compréhension, mieux l’enchaîner en lui pardonnant.
Que deviendra mon corps quand l’autre ne sera plus ? Que deviendra ma vie ? Que deviendra ton corps quand j’aurai disparu ?
Le corps souffre parce que le corps vit. La souffrance n'est ni rédemptrice, ni punitive, elle est consubstantielle à la vie. Le corps n'est pas fragile, il est hypersensible, irréparable, biodégradable. Le corps est une foutue machine à sensations et la plupart de ces sensations sont désagréables, parce que chaque seconde qui passe aggrave sa détérioration. Même pour les nouveaux-nés, il n'y a pas que le pur plaisir, lolo-dodo, comme on voudrait le croire. Dès la première tétée, pan ! la première colique. Dès le premier bisou, pan ! le premier rhume. Dès le premier été, pan ! la première convulsion.
La première fois que j'ai senti une tumeur du sein, c'était dans le sein d'une femme avec qui j'étais en train de faire l'amour.