L’idéalisme d’Hugo a fait sourire, mais nombre de ses utopies, dénoncées par les conservateurs de toute obédience qui l’ont haï, ont pu se concrétiser après lui : l’accès pour tous les enfants à une école émancipée de la tutelle religieuse ; les lois sociales contre la misère ; l’ébauche d’une construction européenne ; l’abolition de la peine de mort… Contrairement à une tendance contemporaine, Victor Hugo fut un apôtre du Progrès, voyant dans la marche de l’humanité une longue ascension vers un monde réconcilié dans la paix générale.
Introduction
Il s’est cru, en effet, l’élu d’une mission, s’estimant, dans sa foi religieuse détachée de tous les dogmes, le « trépied de Dieu », le Poète-Prophète, le Poète-Mage dont le devoir civilisateur lui était assigné. Il est un guide, un phare qui montre la route, l’éveilleur des consciences, le pédagogue du peuple. Adversaire des prêtres, il fut lui-même un prêtre laïque. « Victor Hugo, écrit Paul Bénichou dans Le Sacre de l’écrivain, a été l’incarnation de (son) temps parce que sa vie elle-même et son œuvre se sont déployées selon ces couleurs : Tradition, Progrès, Régénération future. » De la nostalgie monarchique à l’idéal républicain, il aura été le miroir génial de la transmission des pouvoirs, depuis l’alliance du trône et de l’autel jusqu’à la fondation de la République démocratique et laïque. Non seulement le témoin et l’acteur de la seule évolution politique, mais de la mue spirituelle qui a dépossédé l’Église de sa domination séculaire et consacré l’affranchissement du genre humain.
Introduction
Le Progrès, c'est un programme : donner aux enfants le droit à l'instruction ; aux femmes, la voie de l'émancipation ; aux pauvres, le droit au travail et au logement.
Cet ouvrage n’est pas une nouvelle biographie de Victor Hugo. Selon l’esprit de la collection où il s’inscrit, il inventorie les grands thèmes de la vie et de l’œuvre du poète : sa carrière d’écrivain, sa famille, ses amours, ses campagnes pour la justice, ses luttes contre la peine de mort, son exil, sa ferveur pour Napoléon Ier et sa colère contre Napoléon III « le petit », sa rupture avec le catholicisme et sa conversion à la République, ses relations avec l’invisible et l’au-delà. La chronologie en est parfois bouleversée, mais elle n’en est pas moins présente, sous-jacente ou explicite : il fallait aussi le montrer, l’homme et l’œuvre ne sont pas d’un bloc figé ; ils ont évolué au fil du siècle, depuis les ambitions du jeune poète royaliste jusqu’à la gloire du héraut républicain.
Introduction
Le monde selon Victor Hugo fait largement sa part à l’imaginaire. Chef de l’école romantique qui s’impose d’abord par le théâtre, il devient l’écrivain le plus célèbre de son temps, exerçant son génie dans tous les genres, le drame, la poésie, le roman, le récit de voyage, les discours officiels. Enraciné dans la réalité historique – parlementaire sous trois régimes différents –, il porte en lui le rêve d’une société qui donnerait pleinement vie à la liberté, à l’égalité et à la fraternité – la formule de 1848 qu’il complète par l’idée impérieuse de justice.
Introduction
Par Annette WIEVIORKA, directrice de recherche émérite au CNRS
Tout historien, et même préhistorien, établit un lien avec "ses" morts dont il tente de restituer l'histoire, de la Lucy d'Yves Coppens aux morts qui sont ses contemporains. L'opération historiographique a souvent été décrite, de Jules Michelet à Michel de Certeau, comme opération de résurrection des morts et oeuvre de sépulture de ces morts qui hantent notre présent.
Il y a aussi d'autres morts. Ceux des siens qui sont autant de dibbouk pour l'historien parce qu'ils ont orienté sa vie. Ce sont des morts fauchés avant d'avoir été au bout de leur vie, des morts scandaleuses. "Je suis le fils de la morte". Ce sont les premiers mots de l'essai d'égo-histoire de Pierre Chaunu. Ces morts nourrissent les récits familiaux, devenu un nouveau genre historique, de Jeanne et les siens de Michel Winock (2003)("La mort était chez nous comme chez elle") à mes Tombeaux (2023).
Les morts de la Shoah occupent une place tout à la fois semblable et autre. C'est la tentative d'éradiquer un peuple, la disparition du monde yiddish dont ceux qui en furent victimes prirent conscience alors même que le génocide était mis en oeuvre. Ecrits des ghettos, archives des ghettos, rédaction de livres du souvenir, ces mémoriaux juifs de Pologne écrits collectivement pour décrire la vie d'avant, recherche des noms des morts, plaques, murs des noms, bases de données.... Toute une construction mémorielle. Vint ensuite le temps du "je"(qui n'est pas spécifique à cette histoire) , celui des descendants des victimes, deuxième, troisième génération, restituant l'histoire des leurs. Chaque année, plusieurs récits paraissent, oeuvres d'historiens ou d'écrivains, qui usent désormais des mêmes sources, témoignages et archives, causant un trouble dans les genres.
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