A la lecture des dossiers de la Stasi concernant sa famille :
Mais qu'était-il donc, ce poison rampant que tu respirais en les consultant et qui te paralysait tant ? Tu ne pouvais pas y mettre un nom, alors. Maintenant je sais : c'était la banalisation brutale de votre vie dans ces centaines de pages. La trivialité avec laquelle ces gens conformaient votre vie à leur façon de voir. Quand bien même les faits relatés par les délateurs, [...] eussent été avérés, [...] rien ne correspondait à ce que j'avais éprouvé. Si j'ai appris quelque chose en lisant ces rapports, c'est comment la langue peut transformer la réalité. [...] Un collectionneur d'insectes qui veut les épingler doit d'abord les tuer. Le regard sélectif de l'espion manipule immanquablement son objet qu'il souille de sa langue lamentable. Oui, dis-je à Francesco, voilà ce que j'ai ressenti alors : je me suis sentie souillée.
Là-haut sur la scène, les comédiens en costume de communards parisiens, et dans la salle, vous, les jeunes, les visages enthousiastes de ta génération, qui ne connaîtrait pas le destin des communards, l'échec, vous en étiez absolument certains, raillant tous ceux qui doutaient, voilà ce qui m'a traversé l'esprit, et j'ai pu voir vieillir les visages en l'espace d'une seconde, devenir pincés, usés, déçus. Et craintifs aussi, calculateurs, idiots. Cyniques. Incrédules et désespérés. Ce qui n'a rien de nouveau. Et nous aurions été les seuls à y échapper ? Quelle hubris.