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Ghislain Riccardi (Traducteur)Danièle Sallenave (Auteur de la postface, du colophon, etc.)
EAN : 9782234063686
571 pages
Stock (04/11/2009)
3.76/5   19 notes
Résumé :

Christa Wolf n'a que seize ans à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Au moment de l'exode en 1945, elle rencontre un homme qui a survécu aux camps, en fuite comme elle. Il porte un pyjama rayé, et constatant l'étonnement de la jeune fille, il lui demande: " Mais dans quel monde avez-vous vécu ?" C'est à cette question que l'écrivain tente de répondre dans Trame d'enfance. A l'occasion d'un voyage sur les lieux de ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Kindheitmuster
Traduction : Ghislain Riccardi
Postface : Danièle Sallenave


Voici l'un des ouvrages les plus complexes que j'aie jamais lus. Non en raison de son style, qui demeure, en dépit de la traduction de l'allemand, largement accessible au lecteur moyen, mais en raison de ses thèmes principaux : la mémoire individuelle face à l'Histoire d'une part et, de l'autre, le choix de l'intervention chez l'être humain confronté à la dictature et enfin, bien sûr, la culpabilité. ("Trame d'Enfance" est même si complexe qu'il nécessitera certainement, à un moment ou à un autre, une relecture.)

Ce livre éveille chez son lecteur une profonde fascination. Fascination pour l'intelligence de celle qui écrit mais aussi fascination pour l'impossibilité dans laquelle Christa Wolf s'est trouvée, en dépit (ou à cause de) son intelligence, d'éviter la chape de plomb de la culpabilité qui s'est abattue sur l'Allemagne de l'après-guerre.

Avec ce sûr instinct de l'écrivain qui entend exprimer ce qu'il ressent avec un maximum d'intégrité, Wolf souligne - consciemment ou non, il est difficile de l'affirmer sans se tromper - cette contradiction en utilisant tour à tour les trois premières personnes du singulier pour évoquer son propre personnage. L'enfant qu'elle fut, celle qui vécut sous le nazisme puisqu'elle avait eu la malchance de naître en 1929 et dans une petite ville proche de la frontière germano-polonaise, elle l'habille d'une nouvelle identité et la baptise d'un nouveau prénom : Nelly. Et quand elle raconte Nelly, ses parents qui, comme tant d'Allemands, préféraient ne rien voir parce qu'ils ne pouvaient pas faire grand chose, et le cours de leur existence trop paisible si l'on considère les malheurs qui s'abattaient à l'époque sur tant de malheureux, Wolf préfère utiliser le "elle" : c'est la seule façon qu'elle a trouvée, nous explique-t-elle, pour avoir un recul acceptable.

Lorsqu'elle parle de son incarnation actuelle, c'est-à-dire la Christa Wolf écrivain, l'un des plus connus de la République démocratique allemande, elle n'a par contre aucune difficulté à utiliser le "Je". Mais le plus troublant - et ce que certains lecteurs jugeront déstabilisant - c'est le "Tu" qu'elle emploie pour s'adresser au fantôme de sa jeunesse et, de temps à autre, au "Je-Christa Wolf", ce qui lui arrive par exemple quand elle analyse son travail d'écrivain sur le présent manuscrit.

La forme de "Trame d'Enfance" n'est donc pas simple et risque d'occasionner quelques maux de tête à certains.

Le fond, maintenant : Christa Wolf, citoyenne de R. D. A. probablement revenue de certains aspects parmi les plus rebutants du communisme stalinien mais plaçant encore tous ses espoirs dans les théories socialistes, met en parallèle un voyage qu'elle fit dans les années soixante-dix, en compagnie de son mari et de leur fille, dans sa ville natale entretemps redevenue polonaise (Landsberg-an-der-Warthe, actuelle Gorzów Wielkopolski), et les souvenirs qu'elle a conservés de sa jeunesse sous les aigles nazies. La question centrale est, on le devine : pourquoi ?

Vu le contexte, ce serait une question banale si Wolf ne s'interrogeait en fait non seulement sur les motifs qui ont permis au national-socialisme de prendre son envol mais aussi - mais surtout et l'on est tenté d'écrire hélas ! - sur les raisons qui l'ont empêchée, elle ou plutôt Nelly, petite fille, puis adolescente et toute jeune fille, de s'opposer au régime totalitaire.

Le lecteur en reste ébranlé. Il aimerait pouvoir saisir l'écrivain par les épaules, la secouer et lui dire : "Mais vous n'étiez qu'une enfant ! "

Qu'est-ce qu'un enfant pouvait comprendre au monde des adultes ? Pour un enfant, si intelligent soit-il, les adultes détiennent la Vérité et l'enfant accepte leurs conclusions sans broncher : il se soumet - il ne peut rien faire d'autre. Et pour ce qui est de l'adolescence, bien sûr, bien sûr, Nelly-Christa aurait pu se révolter. A cela près que, de manière assez paradoxale, l'adolescence, c'est aussi la période de sa vie où l'on veut être le plus en phase avec les gens de son âge. Or, dans l'univers de l'époque, tous les jeunes appartenaient aux "Jeunesses Hitlériennes" et l'endoctrinement était puissant - tout-à-fait comme il l'était chez les Soviétiques, soit-dit en passant. Sophie Scholl elle-même appartenait au mouvement. Ce qui faisait la différence, c'était la solide éducation religieuse reçue par Scholl, éducation dont l'humanisme lui permit de réfléchir et de passer à l'acte, et bien entendu sa maturité : elle était de huit ans plus âgée que Nelly-Christa.

De ce "soutien passif" au régime national-socialiste, Christa Wolf ne s'est visiblement jamais remise. Cette femme, dont nul ne niera ni la profondeur de pensée ni les facultés de réflexion, a conservé, envers cette "faute", ce "péché" évidemment capital, le même sentiment ambivalent et trouble, fait de nausées et de jouissances, qui préside à la destinée de ceux qui aiment à se savoir coupables. Pas forcément coupables de quelque chose de déterminé d'ailleurs : rien que coupables.

Doit-on y voir la conséquence d'une enfance durant laquelle Nelly accompagna ses parents très régulièrement à l'église ? (Aller régulièrement à la messe ou au culte n'est pas toujours garant d'une bonne compréhension des valeurs premières du christianisme. Bien souvent, cela garantit même le contraire ... ) Ou du discours, culpabilisateur à outrances, qui, après la Défaite allemande, succéda à l'embrigadement hitlérien - discours qui, rappelons-le, est malheureusement toujours de rigueur pour trop de gens de nos jours ? le passage sous la férule communiste de la République démocratique allemande, aux ordres de Staline et de l'URSS, y a-t-il tenu un rôle ? Y a-t-il un quelconque rapport avec cet incomparable esprit de discipline et de groupe qui reste l'une des caractéristiques du peuple allemand ?

Toujours est-il que "Trame d'Enfance" est LE roman de la Culpabilité allemande post-hitlérienne. Une culpabilité qui s'exerce essentiellement, et c'est en cela qu'elle est doublement inique, envers des innocents. Une culpabilité obtenue au prix d'une sorte d'effarant "lavage de cerveaux" qui n'aurait retenu que l'adage de l'Ancien Testament sur la malédiction du prétendu Eternel se déchaînant sur sept fois sept générations. Une culpabilité enfoncée dans le coeur et le cerveau pour paralyser, déprécier, humilier et faire souffrir au maximum en particulier ceux "qui n'y étaient pas." Une culpabilité contre laquelle Christa Wolf, convaincue pour on ne sait quelle raison du bien-fondé du châtiment, n'a pas cherché à se défendre.

Pour cette femme sensible et particulièrement intelligente, ce dut être un martyre. Mais toute médaille à son revers. Et cela nous permet, à nous, ses lecteurs, de réaliser combien cette manière de déclarer le peuple allemand, dans sa totalité et, attention ! dans sa totalité passée, présente et à venir, coupable du nazisme revient à le charger d'une malédiction à vie - une malédiction à laquelle, comme visait à le dire Martin Walser dans le discours si controversé qu'il prononça à Francfort le 11 octobre 1998, il serait grand temps de mettre un terme.

Quoi qu'il en soit, lisez "Trame d'Enfance" et penchez-vous sur le reste de l'oeuvre de Christa Wolf : vous ne devriez pas le regretter. ;o)
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
[...] ... Ce qu'eux ne savaient pas les rendaient tièdes. Du reste, ils avaient de la chance. Pas de parents ni d'amis juifs ou communistes, pas de malades mentaux ni de maladies héréditaires dans la famille (nous reviendrons plus tard sur le cas de la tante Henriette, la soeur de Lucie Menzel), pas de relations à l'étranger, pratiquement aucune connaissance dans quelque langue étrangère que ce soit, pas le moindre penchant pour les pensées subversives, voire pour l'art dégénéré ou toute autre forme d'art. Définis par ce qu'ils n'étaient pas, tout ce qu'on leur demandait, c'était de rester ce qu'ils étaient : rien. Et il semble que cela nous soit facile. Ne pas entendre, ne pas voir, négliger, nier, désapprendre, faire table rase, oublier.

D'après les dernières découvertes de la science, c'est la nuit, pendant le rêve, que le transfert du vécu de la mémoire à court terme dans celle à long terme est censé s'opérer. Tu imagines un peuple de dormeurs dont les cerveaux exécutent en rêvant l'ordre qui leur a été donné : effacer, effacer, effacer. Un peuple d'hommes et de femmes ne se doutant de rien, un peuple qui, sommé de rendre des comptes plus tard, jurera ses grands dieux, comme un seul homme parlant à l'unisson de ses millions de bouches, qu'il ne souvient de rien. Et l'individu ne se souviendra pas du visage du Juif, dont vous cherchez l'usine, le soir, à G. - une petite confiserie toute délabrée, Lenka, une bicoque à bonbons, ce n'était vraiment pas grand chose de plus, rien de grande valeur ; et si l'oncle Emil Dunst n'avait pas couru après [= l'oncle de Nelly a racheté la boutique à son propriétaire, qui était juif], quelqu'un d'autre se serait fait un plaisir de conclure l'affaire et à moindres frais -, dont vous finissez par trouver l'usine, derrière un poste d'essence désaffecté, dans l'ancienne Küstriner Straße. Il n'est même pas dit que l'oncle Emil Dunst ait jamais entrevu le visage du Juif Geminder, si bien qu'il n'a plus besoin de mentir, lorsque plus tard, l'air crâneur, il affirma qu'il ne se souvenait absolument pas de lui. Un vieil homme, quoi ! Au bout du rouleau, et bien content de pouvoir sauver sa peau. Même qu'il m'en a été franchement reconnaissant, si vous voulez savoir, ouais, reconnaissant, c'est la vérité. Oncle Dunst avait l'habitude de répéter ce qui lui semblait important dans une phrase, par exemple : il se peut qu'il se soit passé des choses, oui, ça se peut, des choses pas très jolies jolies, mais pas chez moi. Ah ! ça non, pas chez moi. Parce que nous autres, on n'a rien su du tout, et s'il y en a un qui peut avoir la conscience tranquille, c'est bien moi, oui, c'est bien moi. ... [...]
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Mais comment se faisait-il qu'un grand nombre pouvait écrire couramment sur "l'espace vital" ou "l'esprit nordique dans la poésie antique", mais était totalement incapable de venir à bout d'un sujet aussi simple que "la première neige"? Nelly n'en savait rien, et elle n'aurait pu exprimer ce qu'elle supposait : à savoir qu'il est beaucoup plus difficile d'écrire sur soi-même que sur des idées générales qui vous sont familières.
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[...] ... c'est seulement longtemps après la guerre que Nelly a appris que sa mère [= Charlotte Jordan], en cette soirée d'été encore chaude, a rassemblé quelques lambeaux de linge blanc, des couches et quelques vieux morceaux de flanelle : que mamy-Museau - tout comme le jour où elle pansa le genou de Lutz [= le frère de Nelly] qui saignait abondamment après une chute de vélo - a déchiré sans hésiter un vieux drap de lit et déposé les lambeaux dans le fond d'une corbeille que la bonne ukrainienne [= une "travailleuse de l'Est" qui était au service du commandant du camp] de la femme du commandant Ostermann est venue chercher le lendemain. Mais personne n'a jamais su si l'enfant, que l'amie de l'Ukrainienne venait de mettre au monde dans le baraquement des travailleurs étrangers, avait survécu, ni si on l'avait enveloppé dans les linges blancs de Charlotte Jordan et pour combien de temps, ni - ce qui est on ne peut plus probable - quand il est mort. On avait soigneusement veillé à ce que rien ne trahît l'origine des chiffons dans lesquels le nourrisson devait être enveloppé ; surtout, pas de monogramme ! sinon, les deux messieurs [= des agents de la Gestapo] qui se présentèrent chez Charlotte Jordan, deux ans avant la fin de la guerre, seraient venus encore plus tôt. Un matin, aux premières heures du jour, Charlotte trouva un bouquet de fleurs des champs devant la porte de son magasin. Elle n'a jamais demandé de nouvelles de l'enfant à l'Ukrainienne, et celle-ci n'en a jamais dit un traître mot. Personne, et surtout pas Nelly, la fille de Charlotte, âgée de douze ans, ne devait se douter que, dans le camp des femmes, près du stade, un minuscule nourrisson était enveloppé dans ses anciennes couches et n'avait sans doute pas survécu. Le bruit courait en effet que les Russes qui se trouvaient dans le camp des hommes, situé à proximité de celui des femmes, mouraient comme des mouches. (L'expression a été lâchée, Nelly a dû l'entendre : "comme des mouches.") Pour toute réaction à cette phrase, le regard sombre, effrayé de la mère. Pas un mot. Nelly sait ce que l'on attend d'elle : elle fait la sourde, et l'ignorante. ... [...]
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Nous, gens d'aujourd'hui, nous croyons que l'homme est capable de tout. Nous pensons que tout est possible. Nous sommes au courant. Peut-être est-ce là la différence la plus importante qui sépare notre époque de celles qui la précédèrent.
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Le passé n'est pas mort ; il n'est même pas passé. Nous le retranchons de nous et faisons mine d'être étrangers.
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Vidéo de Christa Wolf
Christa Wolf (1929-2011), dans le puits du temps : Une vie, une œuvre (2013 / France Culture). Production : Matthieu Garrigou-Lagrange. Par Christine Lecerf. Réalisation : Charlotte Roux. Diffusion sur France Culture le 9 novembre 2013. Photographie : Christa Wolf im Jahr 1971. (dpa / picture alliance). Née en 1929, en Prusse orientale, aujourd’hui territoire polonais, Christa Wolf est précipitée dès l’origine dans le paysage tourmenté de l’histoire allemande. Comme beaucoup d’enfants, elle s’enthousiasme pour le Führer. Comme beaucoup d’adolescents, elle participe avec fierté à la naissance de la nouvelle Allemagne de l’Est. Et comme bon nombre d’intellectuels antifascistes qui croient à l’idéal socialiste, elle s’engage au parti communiste dès 1949. Mais Christa Wolf n’est pas tout à fait comme tout le monde. Elle écrit : sur la déchirure de l’Allemagne dans “Le ciel partagé” (1963), sur ses propres dénis dans “Trame d’enfance” (1976). Elle creuse l’oubli, rumine un passé qui ne passe pas. À partir de 1976, à la suite de son soutien au chanteur Wolf Biermann, Christa Wolf n’est plus une femme libre. La Stasi l’espionne. On refuse qu’elle quitte le parti. Plus on cherche à la museler et plus l’écrivaine s’échappe par l’écriture dans les strates du temps. Elle trouve refuge auprès des premiers romantiques allemands qui, comme elle, n’avaient “Aucun lieu. Nulle part” (1979). Dans “Cassandre” (1983) ou “Médée” (1996), elle s’inspire de ces « femmes sauvages » de la mythologie grecque qui avancent comme elle, tête haute, la parole vibrante. On se presse à ses lectures. On rêve l’esprit éveillé. Peu après la chute du mur, l’icône de la littérature est-allemande est injustement accusée d’avoir travaillé pour la Stasi. Dans “Ce qui reste”, elle écrit : « N’aie pas peur, dans cette langue, que j’ai dans l’oreille, pas encore sur les lèvres, j’en parlerai aussi un jour. » Brisée mais non vaincue, Christa Wolf entreprend alors dans “Ville des anges” (2011) une lente et ultime descente au « fond du puits ». Le corps perpétuellement en alerte, Christa Wolf luttait depuis des années contre la maladie. Elle est morte à l’âge de 82 ans.
Avec : Jana Simon, journaliste, petite-fille de Christa Wolf Nicole Bary, traductrice et éditrice de la revue “LITERALL” Pierre Bergounioux, écrivain Günter Grass, écrivain (Archives) Marie Goudot, auteur de “Cassandre” Alain et Renate Lance, traducteurs de l’œuvre de Christa Wolf Erika Tunner, germaniste, spécialiste du romantisme Irving Wohlfarth, germaniste
Et la voix de Christa Wolf
Textes lus par Blandine Molinier et Aurélia Petit. Avec la voix de Jean-François Néollier.
Extraits de films : “Le ciel divisé”, de Konrad Wolf, adaptation de Christa et Gerhard Wolf, DEFA, 1964 “Le tambour”, de Volker Schlöndorff, 1979 “Christa Wolf. Ein Tag, ein Jahr, ein Leben”, de Gabriele Denecke et Gabriele Conrad, ARTE, 2004
Source : France Culture
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