Le deuil est le prix que nous payons pour le courage d'aimer.
Il y a des années que je suis convaincu qu'il y a une corrélation objective entre l'angoisse de la mort et le sentiment de ne pas avoir vécu ce que l'on avait à vivre. En d'autres termes, moins on a vécu sa vie, plus on a peur de la mort.
Elle me pose une question audacieuse : « Comment faites-vous pour avoir 80 ans et voir la fin approcher chaque jour un peu plus ? »
Je lui réponds : « Schopenhauer compare la passion amoureuse au soleil qui aveugle. Lorsque la passion décline avec le temps, alors on découvre le merveilleux ciel étoilé que le soleil a obscurci, ou caché. »
Du fait de sa maladie, ma femme va, selon toute probabilité, mourir avant moi. Mais mon tour ne tardera pas. C’est étrange mais ma mort ne m’inspire aucune terreur. Ce qui me terrifie, c’est la perspective de vivre sans Marilyn. Oui, je sais bien que toutes les études, dont les miennes, nous apprennent que le deuil a une durée limitée et qu’une fois traversés les évènements d’une année – les quatre saisons, les anniversaires de naissance et de mort, les vacances, le cycle des douze mois –, nous commençons à moins souffrir. Au bout de deux ans, pour la grande majorité d’entre nous, nous recommençons à vivre. C’est ce que j’ai écrit et pourtant je doute que cela marche pour moi. J’aime Marilyn depuis que j’ai 15 ans et je ne peux pas imaginer être capable de revivre si elle n’est plus là. J’ai pleinement vécu ma vie. J’ai réalisé toutes mes ambitions. Mes quatre enfants et les aînés de mes petits-enfants sont tous bien lancés dans la vie. Je ne suis plus indispensable.
En pensée, j’ai une vision si nette de mon père. C’est un dimanche matin et, comme à l’accoutumée, nous sommes assis à notre table dont le plateau est recouvert de cuir rouge, et nous jouons aux échecs. […] Je me souviens que je gagnais presque toutes nos parties mais, maintenant encore, j’ignore si mon père ne faisait pas exprès de me laisser gagner. Je me rappelle brièvement son visage empreint de bonté. Puis son image s’efface et retourne à l’oubli. Quelle tristesse de penser qu’à ma mort, il disparaîtra à jamais. Il n’y aura plus personne pour se souvenir de son visage. Cette pensée – la nature éphémère de la totalité du monde de l’expérience – me fait frissonner.
Ellie avait un cancer métastatique et, à la fin de sa première séance, elle respira profondément et me dit : « Je me demandais si vous seriez d’accord pour me suivre jusqu’à ce que je meure. » […]
Le cancer d’Ellie était agressif et je m’émerveillais de sa capacité à ferrailler avec la mort sans aucun déni, en lui opposant des idées comme :
La vie est éphémère, toujours, pour tout le monde.
Tout ce que j’ai à faire c’est de vivre, jusqu’à ce que je meure.
Tout ce que j’ai à faire, c’est de faire la paix avec mon corps et de l’aimer, dans sa totalité pleine et entière, afin d’être capable depuis ce noyau de stabilité de m’ouvrir à l’extérieur avec force et générosité.
J’ai peut-être la possibilité d’aller en éclaireur vers la mort, pour mes amis et pour mes frères et sœurs.
J’ai décidé d’être un modèle pour mes enfants, un modèle de mourante.
C'est ma nouvelle formule : concentre-toi sur toi et tes besoins de chaque jour. L'heure est venue de laisser le reste du monde s'occuper de ses problèmes.
De toutes les argumentations qui me permettent de réconforter des patients qui ont peur de mourir, la plus puissante pour eux est celle de ne pas regretter la vie qu'ils ont vécue.
Après toutes les années épanouissantes que j'ai vécues avec Irvin et la bonne santé dont j'ai joui la plupart du temps, quelle raison aurais-je de poursuivre une existence de souffrance et de désespoir quotidiens ?
La réponse est simple ; c'est qu'il n'y a pas de méthode pour mourir facilement.
C’est à moi, et à moi seul, d’assumer la responsabilité de décider de la réalité.