Le 10 février 2004, le professeur émérite Romolo Benvenuti de l'Université de Rome reçoit une lettre signée
Zvi Yanai. Cet Israélien souhaite s'entretenir avec lui au sujet de la faune africaine. Mais rapidement,
Zvi Yanai révèle à l'universitaire le véritable objet de cette correspondance. Il pense que Romolo est son frère aîné, placé chez une nourrice avant la guerre, puis déclaré mort. Parti sur les traces de ce fantôme, Yanai exhume leur passé, celui d'une famille atypique: une mère danseuse juive autrichienne, un père, baryton hongrois protestant, un grand-père décédé aux Etats-Unis, une grand-mère demeurée à Vienne qui mourra en déportation, un oncle parti en Palestine mandataire, une enfance italienne, catholique et fasciste avec ses deux soeurs.
Très rapidement, le « frère » demande à Zvi de ne pas rendre ses lettres publiques. Dès lors,
Bien à vous, Sandro se mut en un roman monodique, un seul personnage s'exprime au nom de tous les siens. D'abord pour comprendre l'incompréhensible abandon de ce frère, qui le hante, puis pour renouer des liens entre cet être ectoplasmique et une famille unie malgré les vicissitudes de la vie et le décès prématuré de leur mère à l'âge de trente ans.
Bien à vous, Sandro oscille donc entre la quête d'un membre manquant et l'enquête pour combler les trous d'une histoire familiale détricotée par la guerre et l'exil, rapiécée à l'aide de la correspondance retrouvée par l'auteur de sa mère avec la grand-mère, l'oncle et la belle-famille hongroise. Il oscille aussi entre le monologue et les notices biographiques, mais est structuré par les digressions littéraires, les souvenirs de lecture, l'expérience d'une vie d'une grande richesse.
Bien à vous, Sandro est un grand patchwork cousu entre 2004 et 2005 par un septuagénaire érudit, qui superpose des morceaux de l'histoire européenne agitée par un conflit mondial. Et l'ouvrage est riche de deux identités, celle du petit Sandro Toth, né et élevé en Italie au gré des tournées professionnelles de ses parents, et celle du désormais
Zvi Yanai, arrivé en 1945 en Israel comme d'autres orphelins, qui découvre sa judéité, la vie au kibboutz, deviendra parachutiste et champion de chute libre, puis une figure scientifique importante du pays.
Le lecteur plonge tête baissée dans ce roman épistolaire monophonique sans savoir si l'universitaire était une figure de fiction permettant à l'auteur septuagénaire de revenir sur son passé, ou si cet homme qui disparait soudain n'a pas voulu finalement porter sur ses épaules le poids de cette histoire dont émergent deux belles figures de femmes, la grand-mère maternelle expulsée de Vienne, qui n'obtient aucun visa pour sortir de la souricière, et qui même dans les ghettos d'Opole et de Lublin s'inquiètera du sort de sa fille et de ses petits-enfants en Italie, une grand-mère sans doute morte à Maidanek en 1942, et la figure de Ida , jeune italienne pauvre qui recueillera les trois enfants à la mort de leur mère et qui prendra soin d'eux. L'auteur verra en elle une version féminine de Lorenzo, le maçon qui vint en aide à
Primo Levi à Auschwitz,.
Un frère insaisissable, des souvenirs épars, le beau portrait d'un homme qui s'interroge aussi sur son identité et sa judéité, et des questions sans réponse, c'est cela
Bien à vous, Sandro. Et il mérite bien plus que deux lecteurs sur Babelio.