Il est toujours délicat d'entamer une critique (ou une chronique) sur une oeuvre qui, au fil des années, parfois des siècles, a acquis un statut de mythe. Si tout n'a pas été dit, bien des choses l'ont été, et ma foi, on risque fort de faire dans la redite ou la redondance. Mais nous qui ne sommes pas critiques littéraires, mais simples amateurs de lecture, nous nous bornons à donner simplement un avis personnel, même pas, un "ressenti" personnel, forcément subjectif, sur l'oeuvre en question, indépendamment (croyons-nous) de ce qu'en ont dit ou pensé les autres...
Difficile donc de parler des oeuvres classiques comme "Les Misérables" ou "Germinal" en faisant abstraction de ce que nous avons appris à l'école, au collège, au lycée, à la fac, et plus tard dans la vie, bref difficile d'être objectif tout en étant subjectif !
Moi, "Germinal", c'est un copain qui me l'a fait lire en classe de quatrième (Raymond, si tu m'écoutes...) Je ne connaissais pas du tout
Zola, que je n'étudierais que plus tard, en Terminale, avec "Le Rêve". Inutile de vous dire que ce fut un choc. Je n'étais pas habitué à lire des choses abruptes, violentes, qui me bousculeraient autant. Parce que, autant vous le dire (mais vous le savez déjà), "Germinal" est un livre qui vous remue :
C'est d'abord une atmosphère, une ambiance, toute en rouge et noir (couleurs symboliques s'il en est : la mine et le sang, la mort et la liberté...), pleine d'odeurs, de poussière, de sueur, de misère, de violence latente, d'amour et de camaraderie, et chez les patrons, de morgue ou d'indifférence.
C'est ensuite un décor. La mine, qui domine l'ensemble du roman, et même écrase de sa masse les maisons huppées des grands patrons, est même plus qu'un vaste décor, c'est un mythe : c'est le dieu Baal dans la fournaise duquel des centaines de victimes sont jetées. Les corons, que chantera plus tard
Pierre Bachelet, sont le cadre d'un quotidien miséreux et sordide, mais, à l'instar de la buée des bains, plein d'une douceur et d'une chaleur qui reposent les corps et les coeurs.
C'est aussi, et surtout, des portraits saisissants : la Maheude, femme forte et attachante, me fait penser à la Pilar de "Pour qui sonne le glas", roman que j'ai lu à peu près à la même époque. Etienne, incarnation d'une pensée humaniste et prolétarienne, reste par certains côtés furieusement romantique, comme Catherine, et comme Chaval, d'une autre manière, qui campe le méchant de service. Les mineurs, Toussaint Maheu, qui paiera de sa vie son dévouement à la mine, son père le vieux Bonnemort, que le chagrin poussera à la folie et au crime, Souvarine, l'anarchiste qui mettra le feu aux poudres. Et puis les patrons et leurs serviles adjoints, les Hennebeau, Deneulin, Negrel, Grégoire, plus préoccupés de leurs affaires personnelles, qu'elles soient financières ou privées (égoïsme, adultère, arrivisme) que du bien-être des ouvriers...
Enfin "Germinal" c'est un message "socialiste". Je mets ce mot entre guillemets car sa signification, à l'époque, est beaucoup plus large qu'aujourd'hui : c'est l'espoir d'un monde meilleur, où la misère serait abolie, où les hommes et les femmes vivraient en harmonie. C'est un message politique, forcément, mais au-delà c'est carrément une profession de foi humaniste. le dernier paragraphe du roman explicite toute la pensée de l'auteur :
"Et, sous ses pieds, les coups profonds, les coups obstinés des rivelaines continuaient. Les camarades étaient tous là, il les entendait le suivre à chaque enjambée. N'était-ce pas la Maheude, sous cette pièce de betterave, l'échine cassée, dont le souffle montait si rauque, accompagné par le ronflement du ventilateur ? A gauche, à droite, plus loin, il croyait en reconnaître d'autres, sous les blés, les haies vives, les jeunes arbres. Maintenant, en plein ciel, le soleil d'avril rayonnait dans sa gloire, échauffant la terre qui enfantait. du flanc nourricier jaillissait la vie, les bourgeons crevaient en feuilles vertes, les champs tressaillaient de la poussée des herbes. de toutes parts, des graines se gonflaient, s'allongeaient, gerçaient la plaine, travaillées d'un besoin de chaleur et de lumière. Un débordement de sève coulait avec des voix chuchotantes, le bruit des germes s'épandait en un grand baiser. Encore, encore, de plus en plus distinctement, comme s'ils se fussent rapprochés du sol, les camarades tapaient. Aux rayons enflammés de l'astre, par cette matinée de jeunesse, c'était de cette rumeur que la campagne était grosse. Des hommes poussaient, une armée noire, vengeresse, qui germait lentement dans les sillons, grandissant pour les récoltes du siècle futur, et dont la germination allait faire bientôt éclater la terre."